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Compte-rendu de la cérémonie de remise de la médaille des Justes au Pasteur Pierre Gagnier et son épouse Hélène

18 janvier 2012

Discours de Nelly Dohan (Fille ainée d'Ernest et Lily Dohan)

Madame le Maire,
Messieurs les Conseillers,
Monsieur le représentant de l'ambassade d'Israël en France,
Chers amis,

Je suis l'ainée des trois enfatns Dohan. C'est avec beaucoup d'émotion que nous venons livrer quelques mots pour rendre hommage à la mémoire de Pierre Gagnier et de son épouse.

Je vais simplement vous relater les circonstances qui amenèrent nos parents à connaître le Pasteur et Madame Pierre GAGNIER, qui leur vinrent en aide un peu après ma naissance.

Nos parents, Ernest DOHAN, né en 1909 à Vienne en Autriche et Lily née à Prague en 1910, tous deux orphelins de père, quittèrent la Tchécoslovaquie en 1939 pour tenter de rejoindre l’Angleterre et furent bloqués à Boulogne sur mer lors de la « drôle de guerre » puis l’invasion de la France. Leurs proches restés à Prague ou Vienne furent déportés et assassinés.

Ils parvinrent à rejoindre la zone sud et vécurent à Nice parmi des milliers d’autres réfugiés, français et étrangers, avec de faux papiers. Nice, sous occupation italienne, ne connaissait pas les rafles effectuées ailleurs en France.

Mais suite au débarquement en Sicile, Mussolini est écarté du pouvoir fin juillet 1943 et les allemands occupent le comté de Nice début août. A la période assez « tranquille » de l’occupation italienne succède l’arrivée des allemands et les rafles.

Je suis née à Nice le 7 août 1943, dans une clinique privée discrète. Le moment n’était vraiment pas idéal.

Pour échapper à cet environnement hostile, nos parents eurent la chance de parler français et de connaître les méthodes de l’administration, notre mère ayant été employée au printemps et à l'été 1940 à la sous-préfecture de Boulogne sur mer comme interprète d'abord Français-Anglais puis, malheureusement Français-Allemand ensuite.. Ainsi, ils évitèrent absolument d’être fichés, changeant d’hôtel ou de résidence constamment, et ne sortant qu’à l’heure du déjeuner des « autorités ».

Mais la naissance de leur fille les rendait beaucoup moins mobiles et plus facilement détectables, le bébé maigrement alimenté pleurant souvent.

Ils apprirent par d’autres réfugiés l’existence du Comité DUBOUCHAGE et se rendirent au temple réformé du Boulevard DUBOUCHAGE pour faire établir de faux papiers. Ils y rencontrèrent Monsieur ATGER puis le Pasteur GAGNIER qui s’activait beaucoup pour aider les réfugiés juifs.

Connaissant les risques encourus en restant à Nice, le Pasteur GAGNIER proposa à nos parents de leur prêter une maison inoccupée, propriété de sa femme, née AUBANEL, dans le sud des Cévennes, dans une petite ville du département  du Gard, à SAUVE, au N°5 de la Grande Rue. Cette maison s’appelait la « maison AUBANEL » pour le voisinage.

En pratique, nos parents n’avaient ni l’argent ni les laissez-passer pour gagner SAUVE, et ce n’est qu’en février 1944, lorsque l’évacuation des réfugiés de la zone côtière fut ordonnée par crainte d’un débarquement allié, qu’ils purent obtenir des laissez-passer, et purent gagner le Gard. Lors de ce voyage à hauts risques, ils furent à nouveau sauvés d’une rafle en gare de Nîmes par un cheminot anonyme le 3 mars 1944, la ville ayant été bouclée la veille, jour où furent pendus 15 otages suite à l’attaque du maquis de LASALLE.

Parvenus à SAUVE, les proches des GAGNIER, prévenus par une lettre du Pasteur, leur donnèrent la clef de cette immense maison, vendue depuis par la famille et devenue un gîte rural, et les aidèrent à s’intégrer discrètement en fournissant du travail à notre père comme bûcheron. Les habitants de SAUVE, majoritairement protestants, ayant en mémoire les persécutions de Louis XIV, étaient très solidaires et les emmenèrent avec eux au maquis, lorsque, en juillet 1944, une colonne allemande remontant vers la Normandie eut des tués lors d’une attaque des maquisards à proximité et menaça de prendre des otages dans le village.

Nos parents restèrent jusqu’à leur mort très amis avec les personnes qu’ils connurent dans ce village pendant la guerre. Nous nous souvenons d’y être retournés enfants vers 1960  et d’avoir dormi dans cette trop grande maison inchauffable et glaciale.

Mon frère, recherchant l’origine de cette grande maison de notable, bâtie à la fin du 18ème siècle, a retrouvé un Monsieur Etienne AUBANEL, médecin dans le diocèse d’Uzès, qui participa à la rédaction des cahiers de doléances de 1789, et dont la sœur avait épousé jean MASSIP le 15 avril 1756 à SOMMIERES. Or la famille MASSIP faisait aussi partie des amis qui aidèrent nos parents à SAUVE.

Nos parents quittèrent SAUVE à la libération et conservèrent des liens avec les amis qu’ils s’y étaient faits, en particulier Etienne et Jeanne BRUN, leurs voisins. Etienne était menuisier. Ainsi que notre père, à 90 ans, nous le rappellait : ils avaient compris l'essentiel ; dès 1943, ils avaient !

En 1968, ayant témoigné auprès de YAD VASHEM pour Emile CARPENTIER, un cheminot résistant, maire d’OUTREAU dans le Pas de Calais, qui les aida à l'automne 1940 à quitter la zone militaire interdite du Pas de Calais., nos parents demandèrent au Pasteur GAGNIER s’il souhaitait qu’ils témoignent pour son action. Il leur répondit qu’il ne le souhaitait pas.

Ignorant cela, l’un de mes frères, surpris de ne pas voir son nom sur le mur des Justes, entreprit la démarche et prépara un dossier pour YAD VASHEM, pensant que si le Pasteur GAGNIER et son épouse aidèrent des centaines de malheureux parmi les milliers pourchassés à Nice, il est bien possible que seuls quelques uns survécurent. Il était alors de leur devoir, et celui de leurs enfants,  de confirmer le témoignage du Pasteur en 1945, conservé au mémorial de la shoah, lui qui osa se rendre à l’Hôtel EXCELSIOR au siège de la GESTAPO pour réclamer des prisonniers, et dire que ses efforts ne furent pas tous inutiles, et permettre d’honorer une conduite hors norme et un courage inouï.

Nelly Dohan

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