Facebook Instagram Twitter Youtube

HOMMAGE A ODETTE ABADI (Mémorial de la Shoah, Paris)

28 février 2013

À l’occasion de la réédition de l’ouvrage Terre de détresse d’Odette Abadi (éd. L’Harmattan, 2013), le Centre de Documentation Juive a organisé une rencontre avec Marthe Kuperminc, Andrée Poch-Karsenti et Jeannette Wolgust, témoins, et Annette Wieviorka, directrice de recherche au CNRS. Cette rencontre a été animée par Pierre-Emmanuel Dauzat, écrivain et traducteur.


Ce soir-là, ils sont une bonne centaine dans l’auditorium du Mémorial de la rue Geoffroy l’Asnier, à Paris. A la tribune, Annette Wieviorka, Jeannette Wolgust, Pierre Emmanuel Dauzat, Marthe Kuperminc et Andrée Poch-Karsenti. Pierre-Emmanuel présente les intervenantes, l’obscurité se fait dans la salle. Et c’est le choc…

Une immense image d’Odette Abadi apparaît sur l’écran, extraite des 14 témoignages sur Auschwitz, recueillis par Annette Wieviorka. Odette est là, elle parle d’un ton calme, les immenses lunettes soulignent le bleu intense des yeux. Elle raconte l’horreur, un petit sourire au coin des lèvres, comme pour s’excuser de l’émotion qu’elle provoque.


Introduction par Pierre-Emmanuel Dauzat (10:42)

Annette évoque sa rencontre avec Odette et Moussa, en 1992,  dans le cadre de l’association « Témoignages pour mémoire », sa découverte de l’épopée du « Réseau Marcel », le sauvetage des 527 enfants juifs à Nice, la dénonciation et l’arrestation d’Odette. L’historienne insiste sur l’importance de « Terre de détresse, Birkenau, Bergen-Belsen », récit unique et irremplaçable d’une femme médecin dans les camps de la mort.

Pierre-Emmanuel fait courtoisement remarquer que les historiens ont, en général, tendance à faire la part belle aux bourreaux, plutôt qu’aux victimes. Annette conteste, non moins courtoisement.


Intervention d'Annette Wieviorka (21:43)

La parole est alors donnée à Jeannette Wolgust, l’enfant Abadi qui fut la plus proche de Moussa et Odette. Jeannette égrène, avec tendresse et humour, ses souvenirs ; comment elle devint Jeanne Moreau, bien avant que soit connue la célèbre comédienne ; comment elle prit soin de son jeune frère ; comment elle vécut la clandestinité, et combien était attendue la visite de « Mademoiselle » Sylvie Delatre (nom de guerre d’Odette) par les quatre petites juives recluses dans l’école catholique de Grasse ; comment elle ne cessa d’entretenir les liens affectueux avec le couple après la Libération. Et comment elle s’efforça, plus tard, de réunir les enfants sauvés  en créant l’Association « Enfants & Amis Abadi ».


Intervention de Jeannette Wolgust (28:40)

Pierre-Emmanuel remercie Jeannette de son intervention et se tourne vers Marthe qui évoque, pour la première fois en public, « sa guerre ».

La petite fille de 8 ans se retrouve seule à Paris, après avoir miraculeusement échappé à la rafle du Vel d’Hiv qui n’a pas épargné sa mère et son frère aîné. Des voisins la recueillent un temps, mais sont eux-mêmes envoyés à Drancy. Elle se retrouve dans une maison d’enfants de l’UGIF à Montreuil d’où elle écrit à son père, évadé du camp de Beaune la Rolande et caché en Ariège. Celui-ci informe une tante à Bort les Orgues, en Corrèze, qui obtient de M. Brun, le maire de la ville, d’aller chercher la petite Marthe à Vincennes. Les dirigeants de la maison d’enfants sont d’abord réticents mais finissent par confier la petite fille à M. Brun. Elle séjourne quelques semaines à Bort où la rejoint son père. Ils partent bientôt tous les deux vers Nice où un cousin les accueille provisoirement. Le Comité Dubouchage de Nice organise alors, avec la bienveillante complicité de l’occupant italien, l’évacuation de milliers de familles juives vers la Haute Savoie. Les quelques mois passé à St Gervais constituent une parenthèse heureuse dans  cette histoire mouvementée. Le père et sa fille se « rapprochent » d’une jeune femme et de son fils, Armand, qui sera (on l’apprendra bien plus tard), lui aussi un enfant Abadi. Mais la reddition des Italiens en septembre 1943 provoque la tragédie de l’arrivée des nazis dans la région. Les Juifs de Haute-Savoie doivent fuir vers Nice, où la nasse se referme. Les Juifs sont raflés en masse. Le père de Marthe et la mère d’Armand sont raflés ensemble et déportés vers Auschwitz. Ils ont auparavant confiés les enfants au « Réseau Marcel » qui venait de se constituer. La petite Marthe (qu’on nommera dorénavant Marthoune) subit la dépersonnalisation. Elle raconte comment Moussa procédait pour que les enfants juifs recueillis changent d’identité et cachent soigneusement leur véritable nom, trop évidemment de consonance juive. Puis, c’est la planque dans les institutions religieuses de Grasse, où elle retrouve Jeannette et les deux autres petites juives qui formaient un petit groupe à part, dans un univers qu’elles savaient hostile. La Libération vint enfin, et Marthoune est de nouveau seule en attendant que son père, survivant d’Auschwitz, vienne enfin la chercher. Une éternité plus tard (50 années !), Marthe cherche à reconstituer son histoire et retrouve, grâce à  l’OSE, la trace de ses sauveurs inconnus. Un jour,  le téléphone sonne, une voix claire et amicale demande : « Marthoune ? ». Ce joli prénom provençal n’avait été utilisé que par Moussa, Odette et ses compagnes d’infortune. Jamais, au grand jamais, personne dans la famille ou l’entourage ne l’avait appelée ainsi. La boucle était bouclée, l’histoire reprenait son cours, pour trop peu de temps, hélas.


Intervention de Marthe Kuperminc (36:58)

Enfin, c’est Andrée qui évoque nos héros de la soirée. Les souvenirs du bébé qu’elle était alors sont confus. Ayant revu les amis de ses parents, Jeanne et Jean Rous chez qui elle était lors de l’arrestation de ses parents, ils lui racontèrent l’avoir cachée à Annot, petit village de montagne au-dessus de Nice, Les Allemands, à la recherche de Résistants, avaient fusillé un homme sur la place publique. Craignant une dénonciation, Jeanne Rous la ramena à Nice et la confia au Réseau Marcel. Andrée elle aussi, retrouve ses sauveurs 50 ans plus tard, grâce au Bulletin des Enfants cachés. Après un premier contact téléphonique, Moussa et Odette  la rencontre à Paris dans un café et c’est l’occasion d’une après midi dense. Ils voulaient tout savoir, la questionnant sur sa famille, ses enfants, ses opinions politiques! Au moment de se séparer Odette demande à Moussa : « Moussa, on l’adopte une  seconde fois ? » Et Moussa très grave, répondit en la regardant dans les yeux : « oui ».


Intervention d'Andrée Karsenti (10:50)

Pierre Emmanuel Dauzat, très ému, remercie les intervenantes, et le public, très attentif.  La tension fait place à quelques échanges amicaux entre nombre d’enfants cachés qui ont retrouvé chacun un peu de leur propre histoire vécue durant ces quelques années terribles.
Et on se retrouve dans la cour du Mémorial où on ne peut pas passer sans chercher le nom d’un parent, d’un ami, gravé dans la pierre des déportés.