ANGELO DONATI « L’ange de Nice »
5 mai 2016
Un personnage de roman, un héros de cinéma, Angelo Donati fut tout cela, et bien plus. Son histoire n’est connue que par ses proches, bien entendu, par les historiens, et par les juifs qui ont cherché, aux jours les plus sombres, refuge dans le Sud-Est. Serge Klarsfeld a dit de lui : « Il portait bien son prénom, il a été un ange pour les juifs ».
Le 11 novembre 1942, en réaction au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, les Allemands envahissent la « zone libre ». Selon un accord passé entre le Reich et l’Italie fasciste, huit départements français sont concédés à l’Italie : Alpes-Maritimes, Hautes-Alpes, Basses-Alpes (aujourd’hui Alpes de Haute Provence), Drôme, Isère, Savoie, Haute-Savoie et Var.
Je crois que je suis envoyé ici du Ciel pour vous aider : je suis un ancien des vôtres !
Pendant dix mois, la zone italienne sera « le paradis des Juifs ». Aucune des lois antijuives promulguées par Vichy n’y sera appliquée pendant cette période. Le gouvernement de Rome envoie à Nice Guido Lospinoso, Inspecteur Général de la « Police Raciale ». Ce sera une chance pour la communauté juive. Il prend contact avec les dirigeants du « Comité Dubouchage » et leur déclare : « Je crois que je suis envoyé ici du Ciel pour vous aider : je suis un ancien des vôtres ! » Il est probable que Lospinoso était un lointain descendant des Marranes espagnols et il se considérait, en quelque sorte, lui-même comme réfugié. Sous son autorité, les italiens entrent en conflit ouvert avec les pétainistes locaux en accordant des permis de séjour aux réfugiés juifs.
Dès le début de l’occupation italienne, notre héros entre en scène. Angelo Donati, né en 1885 dans une grande famille juive de Modène, est pendant la Première Guerre Mondiale, officier de liaison de l’armée italienne auprès des forces françaises, alors alliées. Puis, il se fixe à Paris, où il crée la Banque Franco-Italienne. Président de le Chambre de Commerce italienne en France, cet homme était couvert d’honneurs : commandeur de la Légion d’Honneur et décoré de l’Ordre de la Couronne d’Italie. En juin 1940, il fuit les Allemands, et s’installe à Nice, dans un somptueux appartement de la Promenade des Anglais. Il est obsédé par le souci de venir en aide à ses coreligionnaires persécutés. Dès l’arrivée des Italiens, il entre en contact, lui aussi, avec le Comité Dubouchage, dont deux délégués, Michel Topiol et Ignace Fink, deviennent ses contacts privilégiés. Il collecte des fonds destinés à secourir les juifs complètement démunis qui affluaient dans les Alpes-Maritimes. Et il devient l’éminence grise de Lospinoso, avec lequel l’entente est parfaite. L’efficacité de leur action commune est impressionnante. Plus de 3500 juifs en situation irrégulière sont envoyés en résidence surveillée vers la Haute-Savoie, et quelques villages de montagne. Les familles sont réunies, les juifs sont très correctement traités et la surveillance italienne plutôt légère. Et pour ceux qui résident près de la frontière suisse la fuite s’organise, parfois avec succès. La plupart de ces pauvres gens n’ont jamais su à qui ils devaient cette heureuse parenthèse. D’autres, vouent à Donati une profonde reconnaissance. Ainsi les garçons nés à Saint-Martin Vésubie en 1942/1943 sont tous prénommés … Angelo.
Les Chrétiens se sentent les fils spirituels du grand Patriarche Abraham… ce qui suffirait à exclure tout antisémitisme, mouvement auquel nous ne pouvons avoir aucune part
Les ambitions de Donati vont bien plus loin. Il veut sauver les quelques 40000 juifs de la zone italienne. L’idée, qui semble, avec le recul du temps, un peu folle, était de transférer les réfugiés vers Gênes, en traversant les Alpes. Il rencontre le Père Marie-Benoit, un père capucin qui résidait à Rome au moment de l’entrée en guerre de l’Italie. Lui aussi consacre tous ses efforts au sauvetage des Juifs du Sud de la France. Il écrit, entre autres : « Les Chrétiens se sentent les fils spirituels du grand Patriarche Abraham… ce qui suffirait à exclure tout antisémitisme, mouvement auquel nous ne pouvons avoir aucune part. » Donati convainc le capucin de solliciter une audience du Pape Pie XII. Le 16 juillet 1943 (quel anniversaire !), la rencontre a lieu au Vatican. Sa relation des évènements en France occupée provoque cette réaction du Pape : « On n’aurait pas crû cela de la part de la France ». Il lui promet de s’intéresser personnellement au sort des Juifs de France. A notre connaissance, rien ne sera fait.
Le 25 juillet 1943, chute de Mussolini. Donati, que rien n’arrête, envisage maintenant de faire passer les réfugiés d’Italie en Afrique du Nord. Il se rend à Rome, où il retrouve le Père Marie-Benoit. Ensemble, ils obtiennent des ambassadeurs de Grande-Bretagne et des Etats-Unis un accord de principe. Le sauvetage est élaboré dans tous ses détails. Le nouveau gouvernement du Maréchal Badoglio met à la disposition des sauveurs, quatre-vingt camions, une escorte de la police italienne et quatre navires de guerre. Tout est prêt, et Angelo Donati rend visite à son frère, à Florence. Le 8 septembre, la radio italienne révèle qu’un armistice est signé entre les Alliés et Badoglio. C’est la catastrophe ! Le général Eisenhower venait de trahir sa promesse solennelle de tenir secret l’accord qu’il avait conclu le 3 septembre avec le nouveau gouvernement italien. Les allemands, qui attendaient impatiemment cette occasion, envahissent les huit départements protégés. Les réfugiés juifs des Alpes descendent en toute hâte vers le Sud, dans des camions affrétés par Donati. Un grand nombre d’entre eux se retrouve à Nice, comme dans une nasse. La répression nazie est terrible, les arrestations de juifs et leur envoi vers Drancy se succèdent jour et nuit. Les collaborateurs français retrouvent enfin la parole, les dénonciations facilitent la tâche des nouveaux occupants. Le Comité Dubouchage est dissous et entre en clandestinité.
Le réseau Marcel (Moussa Abadi et Odette Rosenstock), avec la puissante aide de Mgr Rémond, évêque de Nice, recueille les enfants confiés par des parents en détresse. Mais ceci est une autre histoire .
...lorsqu’il est évident que les parents ne reviendront pas, il adopte Marianne et son frère Rolf
Donati ne peut pas rentrer en France, sa tête est mise à prix par les allemands. Le commandant SS Röthke exige, par télégramme, l’arrestation immédiate du « Juif Donati, protecteur des juifs ». Revenons un instant en arrière. En aôut 1942, au temps de la « zone libre », vivait à Cap d’Ail, la famille Spier, chassée d’Allemagne par les lois antijuives. Ils avaient trouvé enfin la paix sur la Côte d’Azur, après avoir été enfermé dans les camps du Sud de la France. Et ce sont des gendarmes français qui viennent les arrêter et les conduire à la caserne Auvare de Nice. Les parents sont séparés des enfants et seront déportés, sans retour. Et c’est là que se produit le miracle. Angelo Donati, un cousin par alliance, est prévenu. Il vient lui-même chercher les enfants, les héberge et les fait passer en Italie. Plus tard, lorsqu’il est évident que les parents ne reviendront pas, il adopte Marianne et son frère Rolf. Récemment Marianne Spier-Donati a publié sa fabuleuse histoire sous la plume de Olga Tarcali (Retour à Erfurt).
A tout récit romanesque, il faut un épilogue. Angelo Donati se réfugie en Suisse où il continue son action en faveur des Juifs. A la Libération, il sera un des premiers italiens autorisés à revenir en France. Il sera nommé Délégué Général de la Croix Rouge Italienne, et ministre plénipotentiaire de la république de Saint-Marin.
Le 26 avril 1966, Yad Vashem a décerné au père Marie-Benoit le titre de « Juste des Nations » Angelo Donati n’a pas eu le droit à cette distinction, puisque Juif. Il meurt à Paris en 1960.
Victor Kuperminc
Bibliographie :
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Serge Klarsfeld : Le calendrier de la persécution juive en France. Fayard.
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Lucien Lazare : Dictionnaire des Justes de France. Fayard.
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Georges Loinger :Organisation juive de combat. Autrement
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Anny Latour : La résistance juive en France. Stock.
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Olga Tarcali : Retour à Erfurt
Article paru dans le « Bulletin des Enfants Cachés de décembre 2003, et republié par « Liberté du Judaïsme » en mai 2016.