Décès de Maurice Schmidt
19 octobre 2016
Nous avons la tristesse de vous faire part du décès à l'âge de 81 ans de Maurice Schmidt, époux d’Ève Herscovici, enfant Abadi. Sans être enfant Abadi, Maurice a lui aussi été l’objet des poursuites nazies, et n’a dû la vie qu’à une fuite avec sa famille dans les Cévennes.
Qu’Ève, son beau-frère Armand Herscovici, et toute sa famille acceptent nos plus sincères condoléances.
On trouvera ci-dessous l’hommage prononcé par Armand lors de ses obsèques, le 24 octobre 2016 à Arles, où il est né, et où il résidait depuis toujours.
Maurice, mon beau-frère, était mon ami. Mon grand ami. Aujourd’hui, en cette circonstance si triste et si terrible, je prends la parole pour évoquer sa mémoire. Je le fais en mon nom propre, mais aussi au nom de tous ses proches ici réunis, son épouse, ses enfants, et tous les autres membres de la famille présents ou éloignés.
Est-il possible de résumer une vie en quelques phrases sans en affaiblir la portée ? Sans doute pas, sauf peut-être si l’on se limite aux valeurs fortes qui l’ont marquée. Et celle de Maurice n’en a pas manqué.
Notre monde de bruit et de fureur est dur, égoïste, pauvre en altruisme et en générosité, souvent cruel et déshumanisé. Maurice a su le traverser sans jamais se départir de ce qui faisait de lui une personne unique, à contre-courant de la majorité de ses contemporains. Quelles que soient les circonstances, quels que soient les interlocuteurs, il rayonna toujours d’une qualité humaine exceptionnelle dont je ne connais pas d’équivalent.
Il ne s’agissait pas d’éthique ou de morale, qui sont des concepts de l’esprit. Maurice était un être intelligent, mais il n’était pas guidé par les considérations abstraites. Il n’en avait nul besoin. Chez lui, le cœur primait, et il était gros, énorme, sans que pour autant il y ait eu naïveté ou absence de réalisme.
Combien de ses patients ont autant été guéris par les soins qu’il leur prodiguait que par la chaleur réconfortante et pleine de gaieté qu’il leur offrait au même moment. Nulle mièvrerie dans les propos légers qu’il leur dispensait de sa voix douce, seulement des paroles calmes, sincères, authentiques. Chacun sentait qu’elles venaient du cœur. Elles caressaient l’âme avec une efficacité simple et naturelle, elles se superposaient aux manipulations de ses mains puissantes et en amplifiaient l’effet. Maurice était un merveilleux soignant. Il dominait les techniques, que toute sa vie il s’efforça de perfectionner. Il était un praticien de première force, il s’y appliquait avec obstination. Mais il possédait en plus l’intuition du cœur, celle qui apaise et qui tranquillise, et ses nombreux patients l'appréciaient pour cela.
Il était comme ça, Maurice.
Combien d’amis blessés par la vie n’a t-il pas aidés ? Et lorsque la grande faucheuse en emportait certains, combien de leurs proches n’a t-il pas soutenu dans la peine ? Nul calcul dans sa démarche, nulle attente d’une éventuelle contrepartie, nul artifice dans la chaleur de son comportement. Lui qui débordait d’une formidable énergie vitale savait la communiquer au moment opportun à ceux qui en avaient besoin, avec la spontanéité la plus authentique. Les retombées furent à la hauteur, et cela pour un très grand nombre. Certains sont ici.
J’ai souvent entendu le terme « gentillesse » prononcé à son propos. Certes, en le côtoyant, le mot venait immédiatement à l’esprit. Mais sa gentillesse n’était que l’écume au-dessus de la vague. Elle demeurait simple gentillesse dans la vie quotidienne. Elle se manifestait alors dans le cours ordinaire des choses, sans jamais faillir. Avec elle, et avec sa gaieté naturelle, il transformait le plus infime des événements en une petite fête. C'était déjà considérable, merveilleux même, peu en sont capables, et loin de moi l’idée d’en minimiser l’importance. Mais il y avait bien plus. Lorsque la difficulté ou le malheur frappait, sa gentillesse se déployait dans sa dimension véritable, et elle dépassait de loin la seule aménité. Elle devenait de l’amitié à l’état pur, de l’affection profonde, de l’amour, de la compassion, ou peut-être quelque chose d’autre qu’aucun mot ne sait désigner, et qui serait tout cela à la fois. Il portait aide et assistance avec une force, une générosité et une simplicité inégalables. Son cœur parlait, et c’était formidable.
Il était comme ça, Maurice.
Combien peuvent se targuer d’avoir fait autant que lui pour ses proches ? Ne parlons pas de l’amour absolu qu’il leur a donné tout au long de sa vie, une évidence pour lui, mais plutôt de la manière dont il l’a concrétisé à certains moments cruciaux. Ainsi, il a magnifiquement épaulé, soutenu et encouragé son épouse lorsqu’elle a voulu bâtir une nouvelle carrière. C’était pourtant une lourde affaire, dont on savait qu’elle mobiliserait plusieurs années. Le succès fut au bout du chemin, beaucoup grâce à lui, et l’existence d’Ève en fut changée.
Il consentit à des sacrifices inouïs, je dis bien inouïs, pour que ses enfants puissent exercer la profession qu’ils souhaitaient. Point n’est utile de les détailler, mais comment ne pas le mentionner aujourd'hui ? Et là encore, il y eut réussite, et des vies conformes aux vœux de chacun.
Il était comme ça, Maurice. Prêt à tout pour ceux qu’il aimait, parfois au-delà de ce que d’autres prétendument plus raisonnables auraient osé.
Mais il n’était pas que cela. Il aimait la vie, et il le manifesta de mille manières. Il adorait la musique, et ne se contenta pas de l’admirer. J’ignore le nombre hallucinant de concerts qu’il organisa au fil des ans à Arles, et je me demande où il trouva tous ces orchestres, ces chanteurs et ces interprètes, mais ce fut toujours réussi. Il le fit avec la joie et l'énergie qui l’habitaient en permanence, pour faire partager aux autres le plaisir qu’il ressentait.
Peu le savent, car outre les qualités que j'ai évoquées il était modeste et réservé, mais il possédait un joli talent d’architecte d’intérieur qu’il mit en œuvre avec son énergie coutumière pour son local professionnel et pour sa maison. Dans l’un et l’autre, on peut discerner sa patte et sa chaleur, quand on l’a bien connu.
Il aimait recevoir. C'était à chaque fois une fête. Rien n’était trop beau pour ses convives. Il cuisinait à ravir, et avait le don de décorer d’une manière toute personnelle les plats qu’il confectionnait, leur conférant une esthétique appétissante à la fois simple et élégante qui étonnait.
Il était ça aussi, Maurice.
Sa vie a eu un sens. À son échelle, il a énormément donné à la communauté dans laquelle il évoluait. Je l’ai indiqué, nombreux sont ceux dont il a amélioré l’existence de toutes sortes de manières, et ceux à qui il l’a rendue riante. Ce faisant, il a apporté une contribution positive à la société des hommes. Formulé autrement, je dirai que dans son périmètre d’action, et armé de ses admirables qualités humaines, il a rendu notre monde un peu meilleur. C’est un beau bilan. Son passage sur Terre n’a pas été vain. Oui, sa vie a eu un sens.
Tel fut l’époux, le père, l’ami, l’homme merveilleux qui nous a quittés.
Maurice, mon ami, tout le monde t’aimait. Personne ne t’oubliera. Sache-le, là où tu es.
Adieu, Maurice. Adieu, Marco. Et merci.
Armand Herscovici - 24 octobre 2016