Inauguration du Centre "Pierre et Hélène Gagnier" à Nice
6 mai 2022
Le 1er mai 2022, le Centre Protestant de Rencontre de Nice a pris le nom de "Centre Pierre et Hélène Gagnier".
L’Eglise Protestante Unie Nice–Saint-Esprit a toujours gardé du pasteur Pierre Gagnier et son épouse Hélène, née Aubanel, un souvenir présent dans chacun de ses choix et de ses actions. Ses représentants ont souhaité transmettre ce souvenir aux générations futures en donnant leurs noms au centre de rencontre situé 19 rue Maccarani.
A cette occasion, nous étions nombreux ce dimanche 1er mai, au temple du boulevard Victor Hugo. Représentant(e)s de la Mairie de Nice, du Conseil Régional, des instances religieuses de toutes confessions, des associations etc. étaient réunis pour accompagner ce moment.
Pierre et Hélène Gagnier ont contribué à l'action du Réseau Marcel qui sauva 527 enfants juifs durant la seconde guerre mondiale. Ils ont pu agir car ils étaient présents à Nice entre 1941 et 1953, période durant laquelle le pasteur Pierre Gagnier a exercé son ministère au sein de l’Église réformée de Nice. C'est au titre de l'ensemble de son action durant cette période que l’Église Protestante de Nice a souhaité honorer sa mémoire en donnant son nom au centre de rencontre. Hélène Gagnier, son épouse y est naturellement associée tant sa présence à ses côtés tout au long de sa vie et fut un soutien actif inconditionnel.
La cérémonie s'est déroulée en deux parties. La première a réuni toutes les personnes présentes à l’intérieur du temple afin d'entendre les allocutions de l’Église Protestante Unie de Nice, de la famille Gagnier et de l'association des enfants et Amis Abadi et de la Commune de Nice. La seconde partie s'est tenue à l’extérieur, devant le centre protestant de rencontre.
Julien Giraud-Destefanis, Président de l’Église Protestante Unie de Nice a inauguré la cérémonie en adressant un hommage touchant rappelant l'action des époux Gagnier au sein de l’Église.
Madame l’adjointe au maire déléguée au culte, adjointe au territoire Cœur de Nice, représentant Monsieur Christian Estrosi, Maire de Nice, Président de la Métropole Nice-Côte d’Azur,
Chère Isabelle Visentin,
Monsieur le vice-président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse de l’Eglise protestante unie de France,
Cher pasteur Christian Barbéry,
Madame la présidente du conseil presbytéral de l’Eglise protestante unie de la Transfiguration,
Chère Chantal Aime,
Monsieur le responsable du pôle FPF 06
Monsieur Bernard Kohl,
Madame la présidente de l’Entraide protestante de Nice, trésorière de la Fondation de l’Asile évangélique de Nice,
Chère Christine Jacob,
Madame la responsable des Louveteaux, Éclaireurs et Éclaireuses unionistes de Nice,
Chère Christelle Danzin,
Monsieur le président du Consistoire israélite de Nice,
Cher Maurice Niddam,
Messieurs les rabbins,
Monsieur le délégué épiscopal, représentant Mgr l’évêque de Nice,
Cher chanoine Philippe Asso,
Chers confrères d’Alpes-Maritimes-Fraternité,
Madame la présidente des Enfants et Amis Abadi,
Chère Madame Andrée Poch-Karsenti,
Monsieur le président du comité Yad Vashem Nice-Côte d’Azur,
Cher Monsieur Daniel Wancier,
Madame la président de l’Association pour la Mémoire des Enfants Juifs
Déportés des Alpes-Maritimes,
Chère Madame Michèle Merowka,
Très chère famille Gagnier,
Chers pasteurs des Églises niçoises membres de la FPF et de l’Eglise protestante unie de Nice-Saint-Esprit,
Chers membres de la communauté,
Chers amis,
Chers enfants,
« Ce que nous avons entendu,
Ce que nous connaissons,
Ce que nos pères nous ont raconté,
Nous ne le cacherons pas à leurs fils,
Mais nous le dirons à la génération future ».
Aujourd’hui, ces paroles du psaume 78 résonnent tout particulièrement dans nos cœurs. Oui, nos pères nous ont raconté. Ils nous ont raconté le monde qu’ils ont connu, ils nous ont raconté le mal absolu, ils nous ont raconté l’horreur indicible.
Nos pères nous ont raconté la guerre, ils nous ont raconté l’extermination systématique de nos sœurs et frères juifs, ils nous ont raconté Nice en 1943.
Le pasteur Pierre Gagnier et son épouse Hélène sont dans notre paroisse depuis deux ans. Pierre officie dans notre communauté réformée qui se trouvait en ce temps-là boulevard Dubouchage. Les troupes italiennes se retirent et laissent place à l’occupation allemande. De nombreux juifs français et d’autres pays d’Europe étaient alors venus se réfugier à Nice auprès d’une communauté juive déjà chez elle depuis des siècles à Nice, ville jusque-là relativement épargnée par le nazisme et par la collaboration française. On mandate Aloïs Brunner, commandant du camp de Drancy, pour mettre en œuvre, avec l’aide des milices de l’Etat français, la déportation des familles juives vers les camps d’extermination. 2500 Juifs sont déportés en l’espace de 3 mois. Peu sont revenus.
Très vite, beaucoup comprennent leur devoir de résister au mal absolu. Le réseau Marcel s’organise alors autour de Moussa Abadi et Odette Rosenstock, avec le pasteur Gagnier et son épouse Hélène, avec le pasteur de l’Eglise baptiste, Edmond Évrard, sa femme et ses fils, et avec Mgr Rémond, évêque de Nice. 527 enfants purent être sauvés.
Dès mars 1939, six mois avant l’entrée en guerre, l’Eglise réformée de France s’était préparée à entrer en résistance spirituelle. André Trocmé, pasteur du Chambon-sur-Lignon, le village des Justes, avait déjà écrit auprès des consistoires réformés : « Vous aimerez l’étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte. Cette exhortation adressée aux israélites, en Deutéronome 10, 19, frappe par son accent d’actualité, nous frappe tout spécialement, nous, chrétiens réformés, descendants, au moins spirituellement, des Huguenots pourchassés du XVIIe et XVIIIè siècle. »
Avec le réseau Marcel, Pierre et Hélène Gagnier prendront tous les risques en fédérant les institutions chrétiennes, les communautés et les familles protestantes prêtes à cacher des enfants.
Ils rencontrent cependant le désaccord de certains conseillers presbytéraux, effrayés qu’un pasteur s’oppose ouvertement à la politique de l’Etat français. Ils ne savaient certes pas les détails de la destination terrible qui attendait les juifs, mais ils ne comprenaient pas non plus que lorsque la vie d’enfants, d’hommes et de femmes est en jeu, lorsque les extrémismes s’expriment encore aujourd’hui, on ne peut se contenter de chercher des compromis politiques avec le mal.
Pierre et Hélène Gagnier, aidés de paroissiens aujourd’hui anonymes, organisent des caches et l’évacuation d’enfants vers l’arrière-pays ainsi qu’à Sauve, dans la maison familiale d’Hélène. Ils fournissent de faux certificats de baptême, installant, avec la Cimade, une imprimerie dans le presbytère pour fabriquer de faux papiers. Ils intègrent des jeunes Juifs parmi les Éclaireurs et les Routiers. Lorsqu’un jeune routier se fit arrêter, le pasteur, qui était germanophone, se rendit à l’hôtel Scribe, dit un mot à la sentinelle, fit un salut nazi, et on le vit ensuite repartir avec le jeune homme. À la Kommandantur, le pasteur Gagnier, doté d’un fort caractère, manifeste plusieurs fois son indignation, jusqu’à demander à un employé français aux questions juives s’il n’avait pas honte de ce qu’il faisait. Il s’indigne aussi publiquement de la pendaison de Séraphin Thorin et d’Ange Grassi, nos 2 « anges de Nice », épisode qui a lourdement traumatisé notre ville.
Pierre et Hélène bravèrent tous les risques, et beaucoup d’anecdotes pourraient dire leur héroïsme.
Mais de tout cela, nos Pères nous ont peu racontés. Tout cela, nous le savons par les témoignages des enfants sauvés et des compagnons de la Résistance.
Car Pierre et Hélène Gagnier ne souhaitaient pas témoigner de leur héroïsme, allant jusqu’à refuser tous les honneurs de leurs vivants. « Nous autres, chrétiens, ne devons rien raconter de ce que Dieu nous permit de faire pour nos prochains en détresse. C’était une faveur pour nous de pouvoir agir et lutter contre cette force antichrétienne que fut le racisme allemand. »
En faisant aujourd’hui mémoire de notre pasteur et de son épouse, nous nous souvenons pourtant. Nous nous souvenons des 6 millions de victimes de la barbarie nazie. Nous célébrons chaque vie sauvée. Nous manifestons notre reconnaissance à notre pasteur et à son épouse, et nous rendons hommage à tous les anonymes de notre communauté qui ont contribué à l’action de Pierre et Hélène Gagnier. Nous nous souvenons de la faveur de pouvoir agir avec l’aide de l’Eternel.
Car aujourd’hui, notre génération reçoit en partage cette mémoire des Justes, une mémoire vive. Aujourd’hui, perdure dans nos actions concrètes la mémoire de Pierre et Hélène Gagnier, à travers l’engagement de notre Eglise, une communauté ouverte à toutes et tous et attentive, au cœur de la cité, à la fraternité, au vivre et au faire ensemble. Perdure aujourd’hui l’œuvre de Pierre Gagnier, qui avait fondé en 1943, l’Entraide protestante de Nice, aujourd’hui encore en activité, et qui fut la couverture de ses activités de résistance.
Cette mémoire retrouvée, nous la recevons avec la famille Gagnier, que nous remercions sincèrement de leur soutien dans notre démarche de nommer notre centre diaconal du nom de leurs parents. Cette mémoire que nous partageons, ce n’est pas une mémoire qui se situe seulement dans les actes héroïques, mais dans la foi qui animait Pierre et Hélène, cette foi qui fait que dans le mal et l’horreur, nous avons vocation à manifester la présence de l’Éternel au milieu des pouvoirs de mort. Une mémoire qui nous fait demeurer dans l’action, à l’heure où les bruits de bottes se font à nouveau entendre en Europe, et alors que partout dans le monde, des enfants et des adultes connaissent encore les traitements indignes de l’esclavage, et traversent les pires dangers pour venir frapper à nos portes. Une mémoire qui trouve tout son sens aujourd’hui, à travers l’œuvre de l’Entraide protestante de Nice, que le pasteur Gagnier fonda pour ses œuvres diaconales, et qui se poursuit depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, avec l’accueil des personnes en difficultés sociales, et des personnes réfugiées. Aujourd’hui, en donnant à notre centre diaconal le nom de Pierre et Hélène Gagnier, nous poursuivons leur engagement en ouvrant grandes sur la ville les portes de notre maison, comme ils l’avaient fait, une maison sans prétention et sans beauté, mais où chacun trouvera un havre de paix, un lieu de fraternité et de sûreté. Nous nous rappelons de notre devoir d’accueil, et c’est dans le témoignage de la foi de Pierre et Hélène, et dans la prédication silencieuse qu’ils continuent de proclamer par les actions qu’ils ont menées, que nous restons attentifs à tous les réfugiés, dans ce centre qui, aujourd’hui, est dévoué à l’accueil des réfugiés ukrainiens. Dédié à toutes nos activités diaconales, à l’accueil des personnes en précarité, à l’accueil des réfugiés, ainsi qu’à l’accueil des Églises venues de tous les continents, le Centre Pierre et Hélène Gagnier a vocation à demeurer un lieu d’engagement de notre communauté auprès de tous. Actuellement, ce sont près de 200 familles ukrainiennes par semaines qui sont accueillis dans ce centre par nos paroissiens et bénévoles de l’entraide, poursuivant ainsi ce dont Pierre et Hélène Gagnier ont voulu témoigner.
Car nous resterons toujours le troupeau que paît le pasteur Gagnier, chaque fois que nous nous souviendrons de la faveur de pouvoir agir contre toutes les forces antichrétiennes, même s’il faut risquer sa réputation, et même sa vie. Nous resterons les héritiers spirituels de Pierre et Hélène Gagnier, chaque fois que nous garderons nos portes grandes ouvertes pour le réfugié, l’affamé, le pourchassé, quel que soit le lieu d’où il vient. Nous resterons à leur suite, chaque fois que nous ferons mémoire des victimes de la Shoah, et que nous lutterons pour qu’il n’y ait, nulle part dans le monde, plus jamais ça. Avec Pierre et Hélène Gagnier, nous resterons des protestants, chaque fois que nous ressentirons une profonde révolte contre toutes les formes d’intolérance, contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, et lorsqu’il nous faudra dénoncer encore les tentations des discours extrémistes et négationnistes dans notre pays. Nous resterons des chrétiens, chaque fois que nous porterons attention au caractère sacré de chaque vie humaine. Enfin, nous resterons des hommes, chaque fois qu’avec nos sœurs et frères de tous les horizons, nous garderons la foi en l’humanité et dans les générations futures, pour qu’un jour, avec l’aide de Dieu, il n’y ait plus besoin d’Entraide protestante, et de Centre Pierre et Hélène Gagnier.
Julien Giraud-Destefanis
Président de l’Eglise protestante unie de Nice-Saint-Esprit
Emmanuel Gagnier, petit fils de Pierre et Hélène Gagnier et secrétaire général de l'association des Enfants et Amis Abadi s'est ensuite exprimé afin de raconter avec justesse l'abnégation des ses grands-parents.
Au nom de la famille Gagnier et de l’association des Enfants et Amis Abadi, je vous remercie pour votre présence aujourd’hui. Je veux également et tout d’abord remercier l’Eglise Protestante Unie de Nice d’avoir pensé à mes grands-parents, Pierre et Hélène Gagnier, lorsque la question s’est posée du nom à apposer sur son fronton.
Mais cette question en a appelé une autre au sein de notre famille : Faut-il accepter ou non d’inscrire le nom de nos aïeux en grandes lettres sur un bâtiment ? Si nous leur avions posé la question de leur vivant, ils auraient très probablement refusé au même titre qu’ils auraient refusé la médaille de Justes parmi les Nations.
Nous avons tous en tête cette phrase prononcée par mon grand-père, que nous aimons répéter à l’excès tant le panache que lui conférons flatte notre ego familial, je cite : « Je trouve que nous autres, Chrétiens, ne devons rien raconter de ce que Dieu nous permit de faire pour nos prochains en détresse. C'était une faveur pour nous de pouvoir agir et lutter contre cette force antichrétienne que fut le racisme allemand » fin de citation. Et je ne parle pas de l’humilité et de la discrétion de ma grand-mère.
Cette volonté de ne rien raconter rend leur action encore plus noble.
On dit que le véritable don est anonyme. Et c’est vrai !
J’ai récemment lu une courte histoire comme on peut en voir passer sur les réseaux sociaux. Il s’agit de l’histoire d’un père qui dit à son fils « Mon fils, quand la nuit sera tombée tu iras discrètement déposer ce sac de grains devant la maison de la famille au bout de la rue qui est dans le besoin ». Le fils lui demande : « Mais papa, est-ce que ça ne serait plus judicieux d’aller simplement frapper à leur porte maintenant et le leur donner ? ». Et son père lui répondit : « Non, car vois-tu, en procédant de la sorte, ils ne sauront pas qui a déposé ce sac. Et le lendemain, quand ils se promèneront dans le village, chaque personne qu'ils croiseront deviendra leur bienfaiteur potentiel. C'est de cette façon qu'on tisse les liens et cultive la solidarité, sans enlever aux moins nantis leur dignité ». Je ne sais pas si l’histoire est vraie mais elle illustre la façon dont l’anonymat du don étend sa valeur au-delà de ceux qui l’ont reçu.
Donc, pour revenir aux discussions qui ont animé notre famille au moment de savoir s’il fallait accepter la demande de remise de la médaille des Justes, nous y avons beaucoup réfléchi et avons finalement accepté. Non pas au titre de l’hommage qui était rendu à mes grands-parents et encore moins au titre d’une quelconque glorification mais au titre de la mémoire et de la transmission. Nous avons pensé que ce qu’ils avaient fait au sein du réseau Marcel pouvaient inspirer d’autres personnes. Nous nous sommes dit que si le souvenir de ce qu’ils ont fait pouvait donner ne serait-ce qu’à une personne l’envie de tendre sa main à celles ou ceux qui en ont besoin, alors il fallait raconter. Il fallait raconter comment l’Histoire est aussi faite de solidarité et de don de soi.
La même question s’est donc posée s’agissant d’apposer leur nom sur ce bâtiment aujourd’hui. Et la même réponse fut apportée au titre de l'ensemble de ce qu'il ont fait au sein de cette Église ici à Nice entre 1941 et 1953 dont notamment la création du service d'entraide de la paroisse. Alors merci, non pas pour mes grands-parents mais pour toutes les personnes qui pourront peut-être être aidées parce que leur souvenir aura inspiré d’autres personnes. N’oublions jamais que l’Histoire se répète inlassablement même si elle change de costume. Nous pouvons tous ouvrir notre porte à celui qui n’a plus de toit, à celui qui est persécuté, qu’il soit juif, chrétien, musulman,... Ukrainien.
En tant que Pasteur, mon grand-père s’appliquait à œuvrer selon un œcuménisme constant. Il n’aimait pas les frontières entre les esprits. Alors souhaitons que leur nom sur ce centre permette de continuer à faire tomber les frontières.
Merci
Emmanuel Gagnier
Petit-fils de Pierre et Hélène Gagnier
Secrétaire général de l'association des Enfants et Amis Abadi
Mandaté par Daniel Wancier, président du comité Yad Vashem Nice-Côte d’Azur, Emmanuel Gagnier a ensuite lu un rappel des actions du Réseau Marcel et de ses grands parents, rapellant la valeur de la médailles de Justes parmis les Nations décernée par Yad Vashem.
[...] Il leur offre notamment l'asile dans son presbytère où sont également confectionnés de faux papiers et des coupons d'alimentation. Par ailleurs, il sollicite des familles protestantes pour accueillir des enfants du réseau Marcel" et n'hésite pas à intervenir auprès de la Kommandantur pour ex- primer son indignation.
Durant les premiers temps de l'Occupation, la fa mille Isserlis trouve refuge à Nice. La sœur ainée,« externe en médecine, reste à Paris mais est arrêtée en juillet 1942 et déportée à Auschwitz. Lorsque la situation devient trop dangereuse dans la cité niçoise, les parents de Georges décident de quitter la ville pour le village de Raphèle-lès- Arles, dans les Bouches-du-Rhône. Georges, qui doit finir ses études, reste à Nice avec un ami de la famille sous la protection du couple Gagnier. En septembre 1943, Georges est arrêté par la Gestapo alors qu'il doit livrer un sac contenant de fausses cartes d'identité et d'alimentation à l'OSE. Lors de son transfert de Nice à Drancy, il parvient à s'échapper du train et à rejoindre le pasteur Gagnier. Ce dernier le conduit jusqu'à la cache de ses parents où il demeure jusqu'à la Libération.
A partir d'octobre 1943, le couple Gagnier emploie chez lui Denise Kont, une jeune Juive installée à Nice avec sa famille depuis 1940, comme jeune fille au pair. Elle y est accueillie, cachée, nourrie et réconfortée jusqu'à la Libération.
Les Gagnier jouent un rôle crucial dans le sauvetage de beaucoup d'autres Juifs réfugiés à Nice et sa région, comme celui des enfants Michel et Françoise Picard
Ils étaient bien conscients du danger auquel ils exposaient toute leur famille, ayant eux-mêmes quatre enfants, mais ont agi en ayant la conviction profonde que c'était la bonne chose à faire.
Le pasteur Gagnier est également animateur des Eclaireurs Unionistes de France et, dans ce cadre, offre son aide à de nombreux Juifs. Parmi eux, le jeune Georges Isserlis, originaire de Russie. fralent.
Les témoignages
"Pourquoi témoigner si tard ? Je m'aperçois que je fais partie de ceux qui ont vécu avec ses avatars, des années qui, je le souhaite, ne se renouvelleront pas. Ma génération est en cours d'extinction, et je ne roulais pas m'éteindre sans avoir témoigné sur cette époque et sur ce que les nazis ont fait subir à des millions d'êtres humains, les Juifs entre autres, et montrer qu'à côté des bourreaux, il y avait aussi des héros, charitables, humains et courageux qui n'ont pas hésité à risquer leur vie pour sauver ou tenter de sauver d'autres vies, d'autres humains qui souffraient" - Georges ISSERLIS
"Je n'ai su qu'après la Libération un peu des activités clandestines du Pasteur Gagnier Pendant l'Occupation, il était de règle de ne poser aucune question - moins on en savait, et mieux cela valait.
Je ne peux pas, quand je pense à cette période 1943 1944, séparer les deux membres du couple Pierre et Hélène Gagnier. Leur rôle n'était pas identique, mais leur engagement était le même, et les risques qu'ils prenaient identiques. » - Denise ROUIRE-KONT
Le 26 décembre 2010, l'Institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné au pasteur Gagnier et à sa femme, Hélène, le titre de Juste parmi les Nations (Dossier 11720).
Enfin, Isabelle Visentin, adjointe au maire déléguée au culte, adjointe au territoire Cœur de Nice, représentant Monsieur Christian Estrosi, Maire de Nice, Président de la Métropole Nice-Côte d’Azur, a livré une allocution rappelant le devoir de mémoire auquel la ville de Nice est attachée.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
On dit souvent qu’il est plus facile de faire son Devoir que de le connaître. Pour Pierre et Hélène Gagnier, dont nous honorons aujourd’hui la mémoire, il n’y eut pas de réflexion à avoir, d’évaluation des risques. Seulement un impératif catégorique : Faire leur Devoir parce que c’était leur Devoir !
Pour nous, qui avons la chance et le privilège de vivre dans un pays démocratique, il existe, au-delà de la recherche d’un comportement responsable et humaniste dans notre vie de tous les jours, une ardente obligation : Faire en sorte que la Mémoire de celles et ceux qui ont souffert de la folie des hommes, des régimes autoritaires ou des idéologies mortifères, de celles et ceux qui ont honoré l’Humanité lorsque les ténèbres avaient chassé la lumière, demeure vivante et ne soit pas oubliée.
Et c’est bien cela que nous faisons aujourd’hui, Monsieur le Président, cher Julien. Soyez-en remercié, ainsi que toutes celles et ceux qui ont contribué à la journée si importante que nous vivons aujourd’hui.
Christian Estrosi, vous le savez, est profondément attaché au Devoir de Mémoire, mais, retenu par des engagements impératifs, il m’a demandé de le représenter, de vous exprimer toute son amitié et de vous dire qu’il est en pensées avec vous.
Mais au-delà des pensées, demeurent surtout les actes.
Aussi, après avoir initié les Voyages de la Mémoire lorsqu’il était Président du Conseil départemental, Christian Estrosi a voulu faire de Nice un modèle. Je ne citerai que quelques actions.
- Le 27 janvier 2014, était inauguré sur la colline du Château où se trouve le cimetière israélite, un Mur des Justes parmi les Nations. Une stèle de béton qui porte le nom de 125 Niçois et Azuréens.
- Le 30 janvier 2020 à quelques mètres, était inauguré le Mur des Déportés, qui recense le nom des Juifs raflés sur la Côte d’Azur et partis depuis Nice vers les camps de la mort, où la plupart ont été assassinés. Ce mur comprend 3 602 prénoms et noms, et pour les enfants de moins de 18 ans, leur âge. Nous y étions jeudi pour commémoré, avec la jeunesse YomHaShoah, cher Daniel Wancier.
- Notre Ville est également membre du Réseau « Villes et Villages » du Mémorial Français pour Yad Vashem et le Musée Masséna a accueilli en 2016 l’exposition dédiée à Charlotte Salomon, si émouvante par son œuvre éclairée par son destin tragique.
- Enfin, et un certain nombre d’entre vous étaient présents, une plaque commémorative dédiée aux époux Abadi a été dévoilée le 26 octobre 2017 avenue Thiers. En même temps que Moussa et Odette, nous avions évoqué la mémoire et l’action de Pierre et Hélène Gagnier, de Monseigneur Rémond et du Réseau Marcel. En ces moments terribles, ces noms furent porteurs d’espérance, de vie.
Je n’essayerai pas de raconter en détail l’histoire du réseau Marcel et de ses protagonistes, car d’autres l’ont fait ou le feront bien mieux que moi. Mais je crois me rappeler que, par une journée de 1943, une certaine Sylvie Delattre, assistante sociale de l’évêché de Nice chargée des enfants réfugiés, vint à la rencontre d’un Pasteur de l’église réformé, boulevard Dubouchage. Ce Pasteur c’est Pierre Gagnier. Cette assistante sociale, c’est Odette Rosenstock, l’épouse de Moussa Abadi qui a reçu le soutien de l’évêque de Nice, Monseigneur Rémond. Immédiatement, le Pasteur Gagnier comprend qu’il a une décision à prendre.
Pour Pierre Gagnier, pour Hélène Gagnier, la question ne se pose pas. Ils feront leur Devoir. Comme le feront Monseigneur Rémond ou le Pasteur Baptiste, Edmond Evrard. 527 enfants purent être sauvés grâce au courage des membres du réseau Marcel, et notamment aux familles protestantes fédérées par Pierre et Hélène.
L'Entraide protestante de Nice, dont je salue la Présidente, sera d’ailleurs créée à cette occasion.
Justes, ils ne demandaient rien.
Mais la médaille des Justes qui leur fut attribuée en 2012 leur revenait évidemment.
Comme elle revenait à ces chrétiens de Nice qui restèrent fidèles au message d’espérance, à la Bonne nouvelle. Et puis, tout simplement parce que par leurs actes, ils illustraient humblement un fait certain, constant et indépassable :
Tous les hommes sont des frères.
Merci Hélène, Merci Pierre. Vous étiez là pour eux. Nous sommes ici pour vous.
L’assistance s'est ensuite dirigée vers l'entrée du centre protestant de rencontre à quelques mètres du temple ou l'attendait le voile couvrant la plaque au nom des époux Gagnier. Sous le soleil de ce 1er mai, Emmanuel Gagnier, accompagné des Louveteaux, Éclaireurs et Éclaireuses unionistes de Nice, a dévoilé la plaque portant le nom de ses grands-parents et offrant ainsi leur nom au centre.
Le moment qui s'en est suivi fut riche de photos et d'échanges. Ce fut pour chacun l'occasion d'évoquer ses liens et ses souvenirs avec la famille Gagnier et de raconter la façon dont Pierre et Hélène Gagnier ont marqué leur vie. Un sentiment d'accomplissement régnait sur cet instant. Une bienveillance palpable unissait les personnes présentes.
Christine Jacob, Présidente de l’Entraide protestante de Nice, a ensuite ouvert les portes du local de l'entraide afin que celles et ceux qui le souhaitaient puissent visiter le bâtiment sur lequel la plaque venait d'être dévoilée. Entre le vestiaire et l'aide alimentaire, elle a présenté les actions solidaires de l'entraide initiées par le Pasteur Gagnier à l'époque et toujours actives aujourd'hui. Le centre vient actuellement en aide à près de 200 familles ukrainiennes.
Christine Jacob rappelle que depuis sa création par le pasteur Gagnier en 1943, l'entraide n'a jamais cessé ses activités.