Art et mémoires (la Shoah à travers l'art)
4 novembre 2024
Le 18 octobre dernier, nous avons eu le plaisir de voir se réaliser un évènement en préparation depuis plusieurs mois. "Art et mémoires (la Shoah à travers l'art)" qui s'est tenu au centre Maurice Ravel (Paris 12).
La mémoire est une chose volatile par nature. Si l'on n'y prend pas garde, la mémoire s'évanouit avec celles et ceux qui la transmettent. Malgré son poids, la mémoire de la Shoah n'échappe pas à cette vérité. La mission de notre association est précisément de veiller non seulement à ce que la mémoire du Réseau Marcel fondé par Odette et Moussa Abadi soit préservée mais également et plus globalement que celle de la Shoah soit perpétuée. Il y a mille façons d'ancrer la mémoire. On raconte, on peint, on dessine, on chante, on écrit des livres, des pièces, on joue,... L'art est, sous toutes ses formes, un support de la mémoire, des mémoires.
Nous avons l'immense bonheur de compter parmi les enfants et amis Abadi des artistes : musiciens, auteurs, compositeurs, comédiens, dessinateurs,... Tous portent dans leur art une trace de l'histoire qu'est celle de la Shoah. Consciemment ou non, leur expression est intimement liée à ce qu'ils savent et souvent paradoxalement à ce qu'ils ne savent pas, à ce qu'on ne leur pas raconté ou très tard.
Nous avons souhaité réunir quelques-uns de ces artistes pour partager avec le public leur analyse de cette connexion entre art et mémoires.
L'événement s'est tenu à Paris dans le 12e arrondissement, arrondissement dans lequel Odette et Moussa ont vécu tant d'années. Nous n'aurions rien pu faire sans le concours et le soutien de plusieurs personnes et en premier lieu de Madame la Maire du 12e, Madame Emmanuelle-Pierre Marie, de son cabinet et notamment de Madame Fadila Taïeb, Adjointe à la Culture. Grâce à elles nous avons été mis en relation avec Charlotte Jet, Coordinatrice Animation Culture et Événementiel au Centre Maurice Ravel et David Valligny, Directeur du Théâtre Douze. Ils nous ont ouvert les portes de leur théâtre et plus largement du centre avec beaucoup de gentillesse et d'implication.
En première partie, le film "Le Réseau Marcel" de Jacqueline Sigaar et Maria Landau a été diffusé. Le public a suivi le parcours de quelques enfants cachés par le Réseau Marcel. Andrée, Marthoune, Jeannette,... sont retournées à Nice sur les traces de leur enfance sauvée mais souvent oubliée, en tout cas incomplète. S'en est suivi un riche échange avec la salle autour du souvenir et de la nécessité de transmette l'histoire, de préserver la mémoire. Sans passé, pas d'avenir. Chaque témoignage est l'illustration de l'importance de savoir, de raconter, de se souvenir.
Natacha Karsenti a ensuite lu quelques passages de "Terre de détresse" écrit par Odette Abadi. Cet ouvrage s'inscrit comme un témoignage majeur de l'horreur des camps. Odette y raconte son passage à Birkenau avec une justesse terrifiante. D'aucuns sont parfois réticents à lire ce type d'ouvrage par peur d'en être trop affectés. À ce titre, Marie Gatard, amie de longue date d'Odette, qui eut également cette première réaction, a très justement réagit : "Ce qu'elle a vécu, je peux au moins le lire".
En seconde partie, s'est tenue une table ronde toujours autour du thème "Art et mémoires". Cette table ronde était animée par Annette Wieviorka, historienne spécialiste de la Shoah et de l'histoire des Juifs au XXe siècle. Annette a donné la parole à Victor Haïm, enfant caché (pas par le Réseau Marcel), ami de Moussa, dramaturge, scénariste et comédien et Sender Viezl, dessinateur de bande dessinée dont l'œuvre est marquée par la mémoire de la Shoah et la lutte contre l'antisémitisme. Sous le feu pertinent des questions d'Annette, chacun a raconté la façon dont son histoire mêlée à la Shoah pouvait influencer son art. L'échange avec le public qui s'en est suivi fut tout aussi riche.
La journée s'est terminée par un spectacle : "Contrebasse et silence" écrit et joué par Sarah Chervonaz et mis en scène par Christian Sterne. Sarah y évoque son père, enfant caché par le Réseau Marcel et sa relation à la mémoire et la transmission. Seule en scène, accompagnée de sa contrebasse, Sarah livre une interprétation profondément émouvante de la relation avec son père, de la difficulté autant que de la nécessité de transmettre.
Après un nouveau moment d'échange chargé d'émotions avec le public, la soirée a pris fin. Chacun est reparti non sans traîner encore un peu dans les couloirs du centre comme une façon de prolonger ce moment, de l'ancrer un peu plus dans sa mémoire.
Dans la continuité de cette journée, nous vous donnons rendez-vous autour d'autres arts : la peinture et la sculpture. Du 13 au 26 juin 2025, au ministère de l'économie et des finances, se tiendra une exposition des toiles de Rywka Messynger et de nombreux autres artistes internationaux regroupés par la galeriste Nathalie Orsini. Les dessins et les tableaux de Rywka Mesynger (1919-1980) contribuent notamment au travail de mémoire, tant leur thématique est liée à l'histoire de l'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa vocation artistique est un acte de résistance, un témoignage pictural aux yeux du monde libre et elle s'inspire des femmes résistantes comme Odette Abadi. Nous espérons vous y voir nombreux.
"... soyez des veilleurs, des veilleurs et des éveilleurs. Parlez à vos enfants, parlez à vos petits enfants..."
Moussa Abadi (1995)