Jean-Jacques Gautier - Théâtre d’aujourd’hui

Dix ans de critique dramatique et des entretiens avec M Abadi sur le théâtre et la critique. Julliard 1972.

Moussa Abadi : Vous exercez ce métier depuis une trentaine d’années, et, comme vous êtes allé au théâtre quatre ou cinq fois par semaine depuis 1944, vous avez assisté à plus de quatre mille cinq cent spectacles. Mais qu’est-ce qu’un critique dramatique pour vous ?

Jean-Jacques Gautier : Eh bien, le critique dramatique est, pour moi, un monsieur qui a été choisi – arbitrairement – par un directeur de journal, et qui est payé – autant que possible – pour allé s’asseoir, le plus souvent possible, dans un fauteuil d’orchestre ou de balcon, d’où il verra un spectacle qu’il analysera et sur lequel il devra donner son sentiment.

M.A : Il y a quelques années, au cours d’une conférence sur le métier de critique dramatique, vous citiez ces lignes de Henry Bauër qui résument la position et le rôle du critique. Ces lignes, je les ai là :
"Tout voir, tout entendre, tout souffrir entre huit heures et minuit. Au sortir du théâtre, exprimer nettement, clairement, sincèrement, son sentiment et sa vision. Rappeler souvent aux comédiens divins qu’ils sont des hommes. Oublier que l’actrice est parfois une jolie femme. Au-dessus des relations et de la camaraderie, placer le droit du lecteur à la vérité. Combattre encore et sans trêve pour la liberté, l’audace de l’art et de la littérature, voila ce que j’entends par la critique."

J.J.G : Enfin, il y les auteurs combattants, ce n’est pas moi qui’ l’ai dit, c’est vous qui employez ce mot,, mais je le trouve très juste, ceux qui font un théâtre de contestation, certains disent de vigilance – j’aurais plutôt tendance à dire un théâtre d’agression : Georges Michel, Guy Foissy, Jean-Claude Grumberg, Victor Haïm, René Ehni, tous créateurs plus ou moins politisés, en tout cas allant dans un sens politique… La guerre du Vietnam, le racisme, tout ça passera un jour, et un jour on ne fera plus attention au fait que les hommes sont noirs, blancs ou jaunes, ça n’aura bientôt plus d’importance ou du moins on peut l’espérer…

M.A : Je me permettrai de vous faire remarquer que, si la plupart de ces auteurs écrivent un théâtre de vigilance, d’agression, de combat – je dirais plutôt de témoignage – c’est sans doute parce qu’ils ont été marqués, dès leur enfance, par la guerre et l’occupation. Ce sont, en effet, des auteurs combattants, parce qu’ils veulent d’abord être des auteurs de leur temps. Vous venez de me dire : le racisme passera dans dix ans, dans vingt ans… Je veux bien vous croire, mais on le disait déjà avant la guerre, on le disait pendant la guerre, on le dit depuis deux mille ans, et le racisme est toujours là, peut-être plus dangereux, plus virulent que jamais, nous en avons des preuves tous les jours. Alors il est normal, il est même nécessaire, me semble-t-il, que ces auteurs abordent, chacun à sa manière, ce problème et quelques autres qui nous concernent tous, et disent de temps en temps à leur public ce que Brecht disait au sien, à la fin d’ »Arturo Ui » : "Nul ne doit chanter victoire hors de saison, le ventre est encore fécond d’où a surgi la choses immonde."

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