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“Enfance et exil”

Versión espagnole

(Souvenirs de Peter Mayer) 05/12/12 - 10/11/13
Direction nationale du droit d’auteur n° 5025103

Une pièce de théâtre de JUAN FREUND
e-mail:  freundjuan@yahoo.com.ar

Traduit de l´Espagnol par Mme Gladys Campos

À mes petits-enfants

Remerciements à Elba Degrossi pour sa collaboration

 

Personnages:

  1. Peter: / lucien: (le fils) environ soixante ans.

  2. Hanna: / denise: (la mère) une femme d'une trentaine d'années. 

Lieu: indéfini, pénombre. On aperçoit à peine leurs profils.

Au fond de la scène, il y a des valises de différents types et tailles, des bagages et des cartables ainsi que des sacs à dos en différents états. Au milieu de la scène il y a deux chaises et une petite table sur laquelle se trouvent un album philatélique, un cheval en bois et une boîte ou plusieurs albums avec des photographies.

Il y a aussi deux blocs de papier à lettres avec des stylos.

Les acteurs les utiliseront à différents moments, en fonction de la façon et du moment où les souvenirs émergeront.

Les évocations, en gras sont des mots d’adultes, sans aucun ton d’affectation enfantine. Ils pourraient être dirigés à un interlocuteur invisible.

Les lumières montent progressivement. La femme très soignée, est en train de se maquiller et dissimule de la sorte son aspect fatigué.


Scène 1

HANNA : Dis-moi, Peterle, tu as vu les ours et les éléphants qu’ils ont maintenant au zoo?

PETER : Non, Magde m’a emmené voir un défilé. Son fiancé est très grand et fort. Il m’a monté sur ses épaules pour que je pusse voir le défilé. Ensuite, ils m’ont offert des sucettes et un fanion avec le svastika.

HANNA : Elle devait t’emmener au zoo et pas à voir un défilé. (ELLE LUI ARRACHE LE FANION ET LE CASSE) Tu sais comment ton père va réagir si il apprend ça. Nous allons la renvoyer dès demain, et que ton oncle ne remette plus les pieds ici. C’est lui qui l’avait invitée à un bal du Macabí. Rien que ça! Maintenant elle a un fiancé nazi, il ne manquait plus que ça ! Qu’il regarde les jambes des filles juives, il y en a assez par ici.

PETER : Moi, je préférais les défilés. Il y avait des milliers de soldats. Ils portaient des uniformes marrons, noirs, verts et avaient des tanks! (IMITE LE BRUIT D’UN TANK)

Fond musical : une joyeuse marche militaire
Brѐve coupure de courant

PETER : Où ont-ils emmené papa ?

HANNA : Au commissariat, pour lui poser quelques questions. Il rentre bientôt.

PETER : Pourquoi ils ne l’ont pas interrogé ici, chez nous ? J'ai peur.

HANNA : (ELLE LE PREND DANS SES BRAS) Tu n'as pas vu comme ils étaient aimables. Ils savent que nous sommes de bonnes personnes.

PETER : Mais papa n'a rien fait de mal. Alors explique-moi, qu’est-il arrivé ?

HANNA : …C’est ton oncle. Il a boxé.

PETER : Mais puisque tonton est boxeur.

HANNA : Mais il est juif, aussi… Maintenant tu dois dormir. Lorsque tu te réveilleras, ton papa sera là.

PETER : J’ai peur. Qu’est-ce qu’un S.A. ?

HANNA : Pourquoi veux-tu le savoir ?

PETER : Le fiancé de la fille qui m’a emmené au défilé est un S.A. Tonton était là cet après-midi. Il en a frappé un. Papa a dit que ce sont de mauvais hommes, qu’ils ne nous aiment pas. Maintenant, tonton se cache.

HANNA : Ton oncle nous cause toujours des problèmes.

PETER : Et pourquoi un juif ne peut pas être boxeur ?

HANNA : Il est tard. Dors. S’il te plaît, dors.

PETER : Je ne veux pas dormir tout seul. Quand il rentrera, réveille-moi.

HANNA : Viens dans mon lit. Ferme les yeux et dors.

Changement d'éclairage

PETER : (CAUCHEMAR) Aaahhh, ne frappez pas mon papa. Non ! Non !

HANNA : Réveille-toi ! Réveille-toi, s'il te plaît. Tu as fait un cauchemar. Papa est rentré.

PETER : Pendant qu’ils le frappaient, il me criait : Peter, fais pipi…fais ça pour moi.

HANNA : Ils ne l’ont pas frappé, mais ils l'ont gardé toute la nuit debout contre le mur sans lui permettre d'aller aux toilettes. Mon Dieu, lève-toi, je dois te changer. Tu t’es fait pipi dessus… Ton oncle fait notre malheur.

Scène 2

Fond musical de czardas

PETER : Printemps 1934. Ma mère m’a emmené aux thermes de Karlovy Vary (KALRSBAD). Les touristes se promenaient sous les arcades. Ils buvaient de l'eau dans une tasse en métal attachée par une petite chaîne à une fontaine en pierre.

PETER : Arrête, maman. Je ne veux plus boire d’eau. Elle est dégoûtante ! Je veux jouer avec les enfants de l’hôtel.

Il approche de sa mѐre une valise trѐs élégante avec des autocollants de grands hôtels. Elle choisit et essaye différents vêtements.

HANNA : Le médecin de l’hôtel a dit que ça va te faire du bien.

PETER : Ça va me faire du mal. C’est de jouer aux billes avec les garçons qui me fait du bien.

HANNA : Tu me fais toujours me fâcher. C’est pour tes nerfs. Ça va te faire du bien.

PETER :..(IL ESSAIE D’ARRACHER UN AUTOCOLLANT D’UNE VALISE.)

HANNA : Mon Dieu, n’arrache pas les autocollants. Mme. Silberstein nous a prêté les valises et nous a recommandé de ne pas toucher aux autocollants.

PETER : C’est pour ma collection de timbres…

HANNA : Ce sont des titres de noblesse, comme si tu étais un duc ou un comte…Tu as vu comment le concierge nous a apporté les valises…Tu crois que sans les autocollants nous aurions obtenu cette suite si élégante ?

PETER : Qu'est-ce qu'une suite ?

HANNA : C'est une chambre grande comme celle-ci, avec une salle de bains privative et un balcon avec jardin.

PETER : Et papa ? Pourquoi n'est-il pas venu ?

HANNA : Il avait beaucoup de travail. Il viendra dans quelques jours. Bois encore une tasse d'eau, puis nous irons faire les courses. Tu as besoin d'une nouvelle chemise. Les enfants de l'hôtel sont tous bien habillés. Tiens, essaye celle-ci, celle qui a de grands boutons nacrés.

PETER : Je ne l'aime pas, je ressemble à une fille.

HANNA : On voit bien que tu n'es pas une fille… Je veux un fils élégant… Moi aussi, je vais m’acheter une robe. J'en ai vu une qui m'a rendu folle, couleur rose-thé. Elle a des volants… Et des manches serrées. Elle est belle. La taille s’ajuste à l'aide d'une ceinture de velours de la même couleur.

HANNA : (ELLE MET LA CEINTURE. MUSIQUE DE VALSE. HANNA DANSE AU RYTHME DE LA VALSE.) Écoute… Quelle belle valse ! Dansons, (ELLE INVITE PETER À DANSER QUI, HONTEUX, RÉSISTE. IL ACCEPTE MAIS IL FAIT À PEINE QUELQUES PAS HÉSITANTS) Tous les yeux sont sur nous… Ils admirent notre élégance. Ils pensent sûrement : qu’il est beau ce garçon qui danse avec cette femme si élégante, celle à la robe couleur rose-thé (ILS DANSENT AU RYTHME DE LA MUSIQUE)…Il a l’air d’être très amoureux d’elle…(ELLE RIT)

PETER : (IL SE SÉPARE DE HANNA. ELLE EST SURPRISE) Laisse-moi, maman. Je n'aime pas danser ! Ça me fait honte.

HANNA : (ELLE CONTINUE À DANSER LA VALSE LORSQUE LE VOLUME DE LA MUSIQUE DIMINUE…)

Scène 3

PETER : mille neuf cent trente-six. Le cercle a commencé à se resserrer.

HANNA : Sois sage, je rentre tôt. Il y a de quoi manger dans le four.

PETER : Je ne veux pas rester seul. Je vais avec toi.

HANNA : Tu dois manger et réviser les devoirs pour l'école. Demain, tu as des cours.

PETER : Si tu ne m’emmènes pas avec toi, je ne ferai pas mes devoirs.

HANNA : Ne m’oblige pas à me fâcher, je vais devoir parler à ton père.
Il rentre tard, aujourd'hui. Souviens-toi, Peter ! Tu lui as promis d’être obéissant.

PETER : Et je vais lui raconter que tu me laisses seul.

HANNA : Qu'est-ce que tu vas lui dire ? Que je retrouve des amies pour prendre un café ? ... C’est ça ?

PETER : Avec qui tu sors ?

HANNA : Mon Dieu ! Tu es comme ton père, et ne me mets pas en colère. Demain, tu as école tôt.

PETER : Je ne veux pas aller à l'école, les enfants se moquent de moi. Ils disent que je suis un sale juif.

HANNA : Ils font référence aux Polonais, qui parlent mal l'allemand. Dis-leur que tu es allemand, que tu es né ici…comme eux.

PETER : Alors, ils vont rire et m’insulter encore plus.

HANNA : Demain, ton père t'accompagnera. Bon, j’y vais. Ne m’empoisonne pas l’existence.

PETER : Reste avec moi jusqu’au retour de papa.

HANNA : (ELLE CRIE) Arrête ! Ton père rentre tard. Il arrive épuisé. Il s’allonge sur le lit et s’endort. Tu ne crois pas que ma vie est assez malheureuse comme ça ? J’ai juste besoin de pouvoir respirer un peu. De voir des gens, de pouvoir parler avec quelqu’un.

PETER : Avant, nous avions un téléphone.

HANNA : ……..

PETER : Nous avions une radio…

HANNA : Ils l'ont emportée. Ils les ont emportés !…S’il te plaît, arrête !

PETER : Les oncles sont partis en Amérique. Ils ont la radio et le téléphone...

HANNA : Il n’y avait pas assez d’argent pour les billets. Maintenant c’est trop tard. Fais-moi un bisou… Et dors, demain tu as école...

PETER : Demain je n'ai pas école….

HANNA : Comment ça, tu n'as pas école ?

PETER : C’est écrit dans le cahier de communication… Tu dois le signer. Tiens !

HANNA : (ELLE LIT) « Nous communiquons aux parents qu'à partir d’aujourd’hui, les enfants d'ascendance juive ne pourront plus assister aux cours des établissements publics. » - Karl Múller Directeur. Heil Hitler

Ton cahier est un torchon, plein de taches, de pâtés et de rayures, c’est une honte. C'est pour ça qu'ils t'expulsent.

PETER : Non maman…Ils ont écrit la même chose aux autres enfants juifs…

HANNA : Mais nous, nous sommes allemands…Je sais ! Tu vas recopier tout cela dans un nouveau cahier. Sans taches ni rayures. À la première rayure, on recommencera un autre cahier. Demain matin, tu partiras avec un cahier impeccable, baigné et coiffé comme il se doit… Ils vont te féliciter !

Breve coupure de courant

HANNA : (LE CAHIER DE PETER À LA MAIN) Puisque tu as été expulsé de l’école, ton grand-père et ton père insistent pour que tu ailles dans une école religieuse juive.

PETER : Je n’ai pas d’envie d’aller chez le rabbin.

HANNA : Tu iras ! S’il le faut, je te traînerai par les cheveux. Tu es son seul élève, c'est ton devoir. Lui doit se sentir utile et toi, tu vas étudier !

PETER : Je ne le comprends pas ! Il mange tout le temps, tousse, crache et parle en Idish. Je n’y vais plus. Pourquoi tu n’y vas pas, toi ?

HANNA : Tu iras car ton père veut que tu y ailles… Si c’était que de moi, tu étudierais le français,…et sache que moi, j'ai étudié le français et je le parle.

Scène 4

(Bruits de véhicules, de freinages, des pas de bottes montant l'escalier.)

HANNA : Mets-toi vite au lit. Dors, ferme les yeux. Fais semblant de dormir. Ne pleurniche pas ! Il ne va rien arriver. Ils n'emmènent que les hommes. (ELLE LUI MONTRE UN PAPIER) Voilà la convocation : « 26 octobre 1938, M. Isaac Mayer devra se présenter au commissariat du district dans la matinée ».

PETER : Je veux mon papa.

HANNA : (PRESSÉE, ELLE ARRANGE SA ROBE ET VÉRIFIE SON MAQUILLAGE) Ton papa est en voyage d'affaires. S'ils te demandent, tu dis que tu ne sais rien. (ON FRAPPE À LA PORTE) Oui, je suis Mme. Mayer, bien sûr nous avons reçu la convocation, mais mon mari est en voyage. Il est représentant d'une société importatrice de tissus.
Dès qu'il rentrera, il se présentera à la préfecture… Oui, nous sommes avec notre fils, il a huit ans, il s'appelle Peter. Ne le réveillez pas. … Comment ça, vous nous donnez dix minutes pour nous préparer ? La convocation était seulement pour M. Mayer. Tout le monde nous connaît. Un officier de la Gestapo habite à l'autre étage… Il apprécie beaucoup mon mari. Il dit toujours que si tous les juifs étaient comme nous, il n'y aurait aucun problème. Parfois, il vient chez nous pour bavarder et prendre un cognac. Pourquoi vous ne lui demandez pas ?... Le capitaine Guderian est un homme cultivé, c’est un gentleman ! Mon Dieu, comment est-ce que je peux tout préparer en dix minutes. Ayez un peu de cœur ! (ELLE RETIENT SON ANGOISSE ET SES SANGLOTS) Ce n’est qu'un enfant ! Lors de la campagne d'hiver dernier, il allait avec l'école ramasser des métaux dans la rue… Il a reçu une mention car c’est lui qui en avait ramassé le plus… Voilà la mention… J'oubliais. Comme je suis stupide. Tenez : « Mein Kampf », dédicacé par le Führer en personne, en remerciement du vote de mon mari pour l'annexion de la Sarre.

(HANNA ET PETER OUVRENT PLUSIEURS VALISES, SORTENT DES VÊTEMENTS DE QUELQUES-UNES ET LES METTENT DANS D'AUTRES PLUS PETITES. ILS RÉPÈTENT L'OPÉRATION JUSQU'À RÉDUIRE TOUT À UNE VALISE MOYENNE ET UNE AUTRE PLUS PETITE).

PETER : J'ai enveloppé mon petit cheval dans ce pull…

HANNA : Laisse-le ! C'est un pull d’été. Il vaut mieux en mettre un d'hiver… (ELLE SORT LE PETIT CHEVAL ET LE POSE SUR UN MEUBLE). Il n'y a pas de place pour ton petit cheval.

PETER : Il est à moi, c’est papa qui me l'a fait.

(ILS PRENNENT ET LAISSENT DES OBJETS, ILS ONT LA TÊTE QUI TOURNE, NE POUVANT CHOISIR QUE PRENDRE.)

HANNA : Allons Peterle, nous allons à un…campement. Aujourd'hui, il n'y a pas d'école.

PETER : Je veux mon album de timbres !

HANNA : Je ne sais pas où il est !

PETER : Je veux mon album !! Il y a les timbres du Paraguay.

HANNA : (ELLE SANGLOTE) Je ne sais pas !…Pas maintenant ! Remplis ton sac à dos avec des vêtements chauds. Je sens qu'il va faire froid. Mets ton pull neuf. Il va faire très froid...

PETER : Monsieur ! Si vous voyez mon papa, dites-lui de m'apporter les timbres… Il y a ceux d'Amérique, ceux du Paraguay, ceux de Bolivie…

(ELLE L'EMBRASSE EN SANGLOTANT)

PETER : Je veux mon album de timbres !

Scène 5

Bruits de trains en marche

PETER : Cette nuit-là, tous les juifs d'origine polonaise furent capturés. Ils ont été mis dans des wagons et expulsés en Pologne. Ils n'ont eu la permission d'emporter qu'une petite valise et chacun d'eux a reçu trois tranches de pain avec de la margarine.

HANNA : Monte vite, ici, ici, il y a une place près de la fenêtre.

DES VOIX ET DES CRIS EN YIDDISH ET EN POLONAIS.)

HANNA : (ELLE S’ADRESSE À DIFFÉRENTES PERSONNES) Mme. Dina, vous n’avez pas vu mon père ? Il n’a pas voulu se cacher. Il est resté avec ma mère qui était malade. Il croyait qu’ils ne prendraient pas les personnes malades. S'il te plaît, Rebbe Aaron, vous n'avez pas vu mon père ? Où ? Mon Dieu ! Papa !... Je suis là, avec Peter. Et maman ? …Ils lui ont permis de rester…parce qu'elle était malade ? Ah, sa voisine va s’occuper d’elle. Emma.
….Emma n'est pas juive.

PETER : Nous avons voyagé ainsi pendant trois jours. Le train s'arrêtait fréquemment. J'ai retrouvé Bubi. Bubi était mon meilleur ami. Il était dans un autre wagon. En réalité, c’était mon seul ami… Sa famille n'était pas vraiment du goût de ma mère.

HANNA : Mina est aussi là ?….Où est-elle ?...Peter, tante Mina est là ! Tu te rappelles ? Elle jouait toujours avec toi…Mina !..C'est moi, Hanna ! Je suis avec Peter…

PETER : Ma mère désirait à tout prix avoir des relations avec des familles juives de bonne souche et les parents de Bubi étaient de ces juifs polonais, primitifs, religieux sans élégance, ceux qu'elle méprisait. À certains arrêts, les gens nous vendaient quelque chose à manger, cher et de mauvaise qualité. Ils nous insultaient pour se sentir moins coupables et se justifier de nous voler. Mon grand-père se sentait mal. Je crois que c’était le cœur…

HANNA : Un médecin ! S'il vous plaît, un médecin ! Mon père se sent mal. Reste avec moi Peter…Le train est en train de s’arrêter, ne t'éloigne pas…Reste près de moi !

PETER : (IL ESSAIE DE REGARDER PAR LA FENÊTRE) Ils sont en train d’obturer les fenêtres. Je peux voir à travers les fentes les soldats en uniforme avec des fusils… et des chiens !

HANNA : Vite, mets ton pull. Un sur l´autre. Ils nous renvoyént à nouveau vers la Pologne. Donne la main à ton grand-père.

(ON ENTEND DES CRIS : RAUSS, SCHNELL, SCHNELL)

On doit descendre du train. C'est la frontière polonaise… C’est précisément d’ici, de cette frontière polonaise, il y a plus de 40 ans, que mes parents ont fui vers l'Allemagne cherchant la liberté.

PETER : Dix-sept mille huit cents juifs d'origine polonaise ont été violement expulsés et envoyés à la frontière polonaise. Les Polonais les ont rejetés à pointe de baïonnette. Finalement, après les avoir obligés à marcher deux kilomètres dans la nuit, ils ont négocié leur séjour sur le «nomans land». Il s’agissait de hangars précaires à la frontière.

(ON ENTEND DES TIRS ET DES ORDRES EN ALLEMAND ET EN POLONAIS)...

Scène 6

PETER : Sbonszyn, le 29 octobre 1938- … Deux heures du matin. Notre premier camp de réfugiés. Trois jours plus tard, l'aide d'un comité juif de Varsovie est arrivée. Ils ont apporté des couvertures, des aliments,, et il y avait des médecins et des infirmières.

HANNA : Reste avec ton grand-père et ta tante, comme ça je fais la queue pour le repas. Tu dois manger. Demain, il ne restera peut-être rien. Ils n'ont apporté que du beurre et du pain. Ils ont aussi distribué du savon. Après, je te donnerai un bain.

PETER : Je ne vais pas me déshabiller devant tout le monde ! Je me baigne seul.

HANNA : Ne m’oblige pas à me mettre en colère ! Tu vas te baigner ! (ELLE REGARDE SA TÊTE). Mon Dieu, tu as des poux ! Je demanderai du kérosène à l’infirmière.

PETER : Je ne veux pas ! Non ! Tu ne peux pas m'obliger. Je vais dans la cour jouer avec Bubi.

HANNA : C’est lui qui t'a passé les poux, c’est sûr.

PETER : Ce même soir, ils ont improvisé un spectacle. Il y a eu des discours, puis quelques poèmes et finalement Ida est apparue. C'était une infirmière qui chantait. Sa voix était si mélodieuse qu'elle nous a émus. Presque tout le monde a pleuré quand elle a chanté : “In der Finster”.

HANNA. : (ELLE CHANTE D’UNE VOIX TRÈS BASSE): “IN DER FINSTER”

PETER : Je fus le seul à ne pas pleurer… Je suis tombé amoureux, éperdument amoureux. Jusqu'à aujourd'hui, que j'ai déjà plus de soixante-dix ans, parfois je me rappelle sa voix et ses profonds yeux noirs. Finalement, ma mère a gagné la partie : elle m'a douché avec de l'eau froide sous un robinet de la cour et elle m'a passé du kérosène sur la tête.

HANNA : Tais-toi Peter ! Heureusement qu'il y a une radio, on transmet depuis Berlin.

« DERNIÈRES INFORMATIONS SUR L'ASSASSINAT DE VON RATH À PARIS, PERPÉTRÉ PAR LE COMMUNISTE HERSHEL GRYNSPAN DE RACE JUIVE, CE FAIT A PROVOQUÉ DANS TOUTE L'ALLEMAGNE UN ÉCLATEMENT D'INDIGNATION SUIVI D'ÉNORMES DÉBORDEMENTS »…

PETER : Les enfants sont en train de fêter ça, ils dansent.

HANNA : Ce qu’a fait le fils de M. Grynspan est un crime. Nous allons le payer cher et bientôt.

PETER : Bubi dit que lui aussi il l'aurait tué.

HANNA : Il est comme ton oncle. Avec leurs actes de violence, ils provoquent l'antisémitisme… Maintenant tais-toi,

« LA PAGAILLE SEMBLAIT IMPARABLE. LE GOUVERNEMENT A DÛ ENVOYER DES TROUPES AFIN DE RÉTABLIR L'ORDRE »

HANNA :… et toi et tes amis fêtez ça. Ils ont incendié 170 synagogues…
Ils ont brûlé des milliers de magasins et de logements juifs… Continuez à fêter, allez-y !

(MUSIQUE ALLEMANDE ET CHANGEMENT DE LUMIÈRES)

Scène 7

PETER : Je ne sais pas comment elle a fait, mais très peu de jours après, alors que tous continuaient à dormir sur la paille, ma mère avait réussi à louer une chambre dans le village voisin. C'était chez un veuf qui fabriquait des chapeaux.

HANNA : (ELLE ESSAIE PLUSIEURS CHAPEAUX) Peter !... Qu’en penses-tu ? Ça me va bien ? Tu sais, il m'a aussi donné une robe de sa femme, qui est morte il y a peu…

PETER : Tante Mina dit que tu ne dois pas accepter des cadeaux ! Je l'ai entendu dire que c'est une honte…

HANNA : Il ne voulait pas me faire payer… J’ai insisté. Finalement, je lui ai payé dix Marcs. Dis à ta tante que cela vaut au moins 30 ou 40 Marcs. En fin de compte, je ne fais de mal à personne...

PETER : La mère de Bubi dit qu'il y en a qui se vendent pour 30 Marcs…et que porter une robe de couleurs, c’est porter le deuil…Je n’ai pas compris ce qu'elle a dit.

HANNA : Je t’interdis de jouer avec Bubi ! Ni sa mère ni lui ne me plaisent, elle s'habille toujours en noir.

PETER : Fin septembre 1939, quelques juifs, grâce à l'aide de la Croix Rouge, ont reçu un sauf-conduit de deux ou trois jours pour retourner chez eux et régler quelques affaires.

HANNA : Tu passes ton temps à jouer dans la cour avec Bubi, avec ce froid ! Je ne te l’avais pas interdit ? Maintenant, tu as de la fièvre. Comment peux-tu me faire ça ? Demain, tu dois te lever très tôt. Nous rentrons à la maison. Chez le veuf, j'ai pu parler par téléphone avec ton père. Il nous attend. Ah ! Je lui ai dit pour tes timbres…Nous partons pour huit jours et ensuite, nous devons revenir.

PETER : …Et grand-père ?

HANNA : Grand-père ? Il reste là. Son cœur va beaucoup mieux, mais c'est un voyage trop long pour lui. Il attend l'arrivée de grand-mère, pendant ce temps tante Mina lui tiendra compagnie. Ils nous donnent le sauf-conduit uniquement à condition que nous revenions ici, au camp de réfugiés.

PETER : Et si nous ne revenons pas, qu'est-ce qu'il arrivera ?

HANNA : Je ne sais pas…Le veuf, celui des chapeaux, s’est porté garant du fait que nous reviendrons.

PETER : C’est quoi un garant, maman ?

HANNA : …Je ne sais pas !... Arrête avec tes questions, arrête s'il te plaît ! …(PETER PLEURE) Ne pleure pas, mon chéri ! Tu vas revoir ton papa… Il nous attend…Il a trouvé tes timbres et les a laissés chez la voisine...

PETER : …Et grand-père ?...Nous le reverrons…un jour ?

PETER : Je me souviens très peu des jours suivants, sauf du fait que j’avais une très forte fièvre. Nous avons mis quatre jours pour arriver à ce qui était notre maison. Ma mère m'a laissé avec des voisins, qui m'ont rendu mon album de timbres. Je me suis amusé à les ranger pendant qu'elle faisait sûrement des démarches (ou prenait un café avec les amis qui étaient encore là, ou les deux). Le soir, finalement, elle a réapparu. La fièvre avait baissé…

HANNA : Je veux que tu prêtes beaucoup d’attention à ce que je vais te dire. Tu es presque un homme. Nous n’allons pas rentrer en Pologne, au camp de réfugiés… Nous allons retrouver papa ! Des gens vont nous aider. Ils nous accompagneront. Si quelqu'un te demande quelque chose : tu ne sais rien ! Mets-toi bien ça dans la tête ! Tu as compris, Peter ?

PETER : Oui, oui, j'ai compris… Et tata ?

HANNA : Dans quelques jours, elle nous rejoindra. Il y a autre chose…Là, en bas, dans l’ourlet de ton pardessus, il y a de l'argent caché, ne le touche pas… c'est au cas où on aurait besoin de quelque chose…

PETER : Et Bubi ?… Je le reverrai ?

HANNA : ….Bien sûr, oui…

PETER : Le voyage à travers l’Allemagne a duré plusieurs jours. Nous avons été guidés par un jeune homme très expérimenté. Il y avait toujours des voitures qui nous attendaient pour nous emmener où nous avions besoin. Nous avons fait des trajets en voiture, en bus, d'autres fois en marchant dans la forêt. Des logements particuliers convenus à l’avance nous attendaient. À un moment donné, un autre guide qui tenait une femme âgée par le bras a pris la relève. Finalement, ce dernier nous a indiqué la fin d'une route que nous devions prendre seuls, mais nous devions emmener la femme âgée avec nous.

HANNA : Allons-y ! Nous sommes bientôt arrivés Peter, donne ton bras à la dame… Comment s'appelle-t-elle ? Ah oui, Grete ! Nous allons chanter : “Un kilomètre à pied, ça use, ça use, un kilomètre à pied, ça use les souliers. Deux kilomètres à pied, ça use… (CHANTE)

PETER : Maman ! Des soldats viennent ! Cachons-nous !

HANNA : Vite ! Entrons dans cette maison ! On dirait une auberge ! On pourra manger ! Plus tard, quand il fera nuit, nous continuerons. Ne pleure pas Peter; on y est bientôt…papa nous attend. Regarde la grand-mère Grete. Elle a de beaux cheveux blancs ! Regarde comme elle est courageuse ! N'oublie pas de lui dire: grand-mère…

PETER : La grand-mère Grete et moi sommes restés cachés derrière quelques arbustes et ma mère a frappé à la porte…

HANNA : Bonsoir, madame… Excusez-moi de vous déranger, mais nous nous sommes trompés de chemin…ça fait des heures que nous marchons…Je ne peux plus continuer…Je suis avec mon fils et ma mère…S'il vous plaît, aidez-nous…Je vous en prie…

PETER : J'ai entendu la voix d'une femme. Elle semblait être âgée : "Jésus ! Marie ! Bien des gens se perdent sur ce chemin…Vite, vite ! Venez au fond de la cour. Cachez-vous dans ce vieux bus…Là, personne ne vous verra.

HANNA : Peterle, Grete. Couchez-vous par terre. La dame va nous apporter quelque chose de chaud. Demain, nous reprendrons notre chemin très tôt, mais maintenant il faut se reposer. Par chance, nous pouvons le faire ici.

PETER : Grete et moi avons dormi par terre, dans les bras de ma mère. Elle sanglotait les poings serrés…en silence.

HANNA : La providence a mis cette femme de bon coeur sur notre chemin. C’est l’aube, elle nous a apporté du café et du pain avec du beurre… Mangeons, nous devons continuer. Vite, avant qu’il fasse complètement jour !

PETER : Nous avons continué comme ça, traînant et poussant Grete sur le chemin que nous avait indiqué l'aubergiste… Soudain, une voix, un ordre : Halt. Une patrouille de gendarmes, eux aussi surpris que nous terrifiés… HALT…

HANNA : Vite ! Peter ! Donne-moi ton pardessus...

PETER : J'ai vu comment elle a déchiré l’ourlet…Les larmes m’empêchaient de voir mais j'ai réussi à percevoir l’éclat d'une énorme monnaie. C'était comme un soleil dans l'obscurité. Je me rappelle l'image de ma mère, éclairée par la lanterne d'un des gendarmes. Elle ne les défiait plus, ne pleurait pas non plus. Elle leur montrait simplement la monnaie. L'un d'eux l'a prise par le bras et la reconduite vers nous. Puis ils sont partis. Comme ça! Simplement...

HANNA : Garde cette monnaie dans ton mouchoir. C'est une monnaie qui porte chance. Ils m'ont dit : vous allez en avoir besoin ! Tu sais qui était l’un d’eux ? Le frère de l'aubergiste ! C'est la preuve qu'il y a encore des Allemands humains. Le gendarme nous a dit de marcher par là, pieds nus, au milieu du ruisseau jusqu'à arriver à un pont.

PETER : Moi, pieds nus, j'ai dû porter mes souliers attachés au cou, le sac à dos et deux petites valises. Ma mère a pris Grete par la main. Soudain, après avoir beaucoup marché, j'ai vu le pont… Il était là, face à nous. J’ai alors su ce que c’était d’avoir réprimé la peur pendant tout le voyage car mon cri de joie fut une exaltation. J'ai sauté tellement fort pour y arriver le premier que je suis tombé dans l'eau avec le sac à dos et tout le reste. Deux personnes sont venues nous aider. Ma mère ne pouvait rien me dire pour mes vêtements mouillés. Elle m'a serré dans ses bras et m'a embrassé. Je sens encore ses bras me serrer très fort… C'était l'aube et nous étions en Belgique. Le ruisseau nous avait séparés de l'enfer.

Je n'ai plus jamais rien su de grand-mère Grete. Je n'ai jamais su son vrai nom non plus. Ce que je me rappelle, c'est la faim et la fatigue de ces jours-là, et les vêtements mouillés contre mon corps après avoir traversé le ruisseau.

HANNA : Nous passerons la nuit dans une chambre qui a deux fenêtres. L'une donne sur l'Allemagne et l'autre sur la Belgique (ELLE REGARDE PAR LA FENÊTRE). Regarde, Peter, comme il fait nuit vite du côté allemand, sur notre passé. Des amis et des proches disparaissent dans les ténèbres….

PETER : Mais, de ce côté le jour se lève. Au loin, on entend le bruit de la mer du Nord. C'est Anvers, n'est-ce pas ? Anvers où papa nous attend...

HANNA : Oui, Anvers. Dors maintenant, mon petit... À l'aube, une voiture envoyée par ton père viendra nous chercher.

MUSIQUE DU TYPE AMSTERDAM, DE J. BREL

Scène 8

PETER : Anvers. Pays-Bas. Une chambre dans une pension misérable, au quatrième ou cinquième étage. Comment vous dites : l'ascenseur ? Non, pas d'ascenseur, mais il y avait des rats, oui…Nous mangions tous les jours : semoule, patates douces et pâtes.

HANNA : D'ici partent des bateaux pour le monde entier. Nos familles et nos amis vont en Amérique du Nord, en Australie, en Argentine. Ce sont ceux qui ont de l'argent pour payer le visa et le voyage qui partent. Ceux qui nous rassurent en disant : « Ça ne va pas durer longtemps, nous nous reverrons bientôt »…

PETER : Ils partent aussi pour le Congo Belge, pour Shanghai. Ils m'ont promis des timbres de là-bas.

HANNA : Je dois te parler de quelque chose. Nous t'avons inscrit dans une école. Tu commences demain.

PETER : Ici !

HANNA : Oui, ici.

PETER : Mais c'est en hollandais. Je ne vais rien comprendre ! Je n'ai pas un seul ami qui parle cette langue… D'abord, vous m’avez envoyé dans une école allemande. Lorsqu'ils m'ont renvoyé, vous m’avez envoyé chez un rabbin pour que j’apprenne à lire en hébreu. Puis il a été arrêté et je ne l'ai plus revu… En Pologne j'ai appris quelques mots : prosze pani, bardszse dobsze, szenkuye, où je n'ai jamais rien compris et maintenant, je comprends encore moins. Oui, Aschteblieff.
(EXALTÉ) Ça, c’est un “Potlod” (crayon). -Schma Israel - Prosche panie - boruch pri hagufen - aschtebliff Minheer. Schenkuye barszedoff - du must immer grüssen, andschtendtlich - Immer grüssen. Pchakreff cholera...

HANNA : Arrête ! Bois ton thé ! ... Le médecin a dit que tu es très nerveux. C'est pour que tu te calmes. Comme l'eau minérale de Carlsbad. Tu te rappelles ?... Mon Dieu ! Peter, le costume presque neuf que ton père t'a acheté est tout froissé et taché. Où es-tu allé ? Tu étais encore avec ces fainéants de Polonais ? Où étiez-vous ? Encore au pont ? Avec cette maudite balance automatique ? Tu gaspilles les quelques centimes que ton père te donne. Tu ne manges rien de la journée… Tu maigris de jour en jour.

PETER : Ce ne sont pas des fainéants ! Ce sont mes amis ! (IMITANT UN AUTOMATE) “VOTRE POIDS EST DE TRENTE-QUATRE KILOS” maintenant en hollandais .”UW GEWICHT MEER DAN VIJFENDERTIG KILOS.”!!! MERCI BEAUCOUP/ HARTERLIJK DANK”…Je parle français et hollandais…

HANNA : Arrête ! ….Aujourd'hui, les Van Der Gelder t’attendent pour déjeuner.

PETER : Nous y allons avec toi et papa ? Je ne vais pas manger seul chez une famille dont je n’arrive pas prononcer le nom !

HANNA : Ne m’énerve pas. Nous faisons ça pour toi ! De temps en temps, tu dois bien manger, être bien habillé, baigné et bien coiffé, présentable… Papa t'a acheté un costume gris, tu vas aller déjeuner chez une famille très chic….

PETER : Je vais manger avec papa ! Il m'a promis d'apporter les tranches de charcuterie et de fromage des machines à couper la charcuterie.

HANNA : Tu iras manger avec les Van Der Gelder, car ce sont des gens qui essayent de nous aider. Si tu te comportes comme un garçon bien élevé, ils t'inviteront plus souvent. C'est une famille très importante…

PETER : Des garçons qui sont allés y manger m'ont dit que ce qu'ils ont mangé était dégoûtant. Ils t'obligent à manger avec six fourchettes et deux couteaux.

HANNA : Maintenant, nous allons chez le coiffeur puis je t'emmène chez les Van der Gelder. Qu'ils voient que tu n'as pas n’importe quelle mère ! Je te le répète, ce sont des gens très raffinés. Monsieur est un gentleman. Il se consacre aux diamants. Un homme très attrayant…

PETER : (IL SIMULE DES NAUSÉES) Je vais vomir, comme ça ils ne m’inviteront plus ! En plus, je veux attendre papa !

HANNA : Si grand-père apprend ce que ton père t'apporte à manger ! Il y a du jambon…Tu m'entends ? Du jambon !

PETER : Papa a trouvé une boucherie juive. David et David. Plus kascher, impossible, disait-il…

HANNA : David et David sont partis à Buenos Aires. Ils ont vendu la boucherie…Maintenant habille-toi, les Van der Gelder nous attendent.

PETER : …Maman… Nous reverrons grand-père un jour ?

HANNA : Maintenant habille-toi, ils nous attendent… Grand-père est à Varsovie avec ta grand-mère.

(LES LUMIÈRES BAISSENT. LE JOUR TOMBE)

HANNA : Est-ce une heure pour rentrer à la maison ? L'école a fini tôt. Où étais-tu ?... Je sais ! Encore au port ! Avec ces fainéants ! Je ne te donne plus un centime…

PETER : Un bateau avec une centaine de juifs voulant fuir l'Allemagne est arrivé ! Ils devaient descendre à Cuba. Ils ne les ont pas laissé. Ils les ont donc renvoyés en Allemagne. Ici, ils n'en ont laissé descendre que cent. Nous les avons aidés avec leurs valises, à chercher des pensions et des hôtels. Tiens, les vingt centimes que tu m'as donnés…

HANNA : Comment, « Le SAINT LOUIS » ?...Alors, ils n'ont pas pu arriver à Cuba…Pardonne-moi Peter…. Quelle chance nous avons, être en Belgique… ! Nous avons eu de la chance !...

Scène 9

DES ÉCLAIRS, DES EXPLOSIONS, DES SONS D'AVIONS, DE MITRAILLEUSES, ET DE BOMBES.
DES CRIS DE FOULE ENVAHISSANT DES GARES ET SE DÉBATTANT POUR MONTER DANS LES TRAINS)

PETER : (AVEC UN JOURNAL EN FORME DE CÔNE FAISANT HAUT-PARLEUR)
“Dix mai 1940. Dernier train pour la France ! Ayez vos papiers en main !

(BRUIT D’UN TRAIN EN MARCHE)

HANNA : Monte vite, approche-toi de la fenêtre…

DE NOUVEAU DES BRUITS D’AVIONS, DE BOMBES ET D‘EXPLOSIONS.

PETER : Un, deux, trois, quatre et …

HANNA : Qu'est-ce que tu comptes ?

PETER : Regarde les cadavres le long du train arrêté, en face…

HANNA : (ELLE LE SERRE DANS SES BRAS ET LUI DÉTOURNE LE REGARD) Ne regarde pas !

PETER : Il y a plein de cadavres par terre à côté des wagons… Pourquoi papa était en uniforme ?

HANNA : La guerre a commencé. C’est pour ça…

PETER : Et il va avoir un fusil ? Et où allons-nous ? Et quand est-ce que nous le reverrons ?

HANNA : Je ne peux pas répondre à tout en même temps ! … Il aura un fusil pour se battre contre les Allemands.

PETER : Papa va se battre ?

HANNA : Ils ont formé un bataillon de soldats polonais. Des Polonais qui n’ont jamais utilisé un fusil… Nous, nous allons à un endroit en France qui s'appelle Gürs. Lorsque la guerre sera finie, ton papa viendra nous chercher.

PETER : S’il tue beaucoup d'ennemis, il sera nommé capitaine ?

HANNA : Ton père n'a jamais eu d’arme dans les mains.

PETER : Ce n’est pas vrai ! Papa sait tirer avec le fusil !

HANNA : Comment tu sais ça ?

PETER : Une fois qu’il m'a emmené à un campement du Shomer… Bubi m'a raconté ...Non ! J'ai promis de garder le secret…bon, il m'a dit que tous ceux qui pensaient aller en Israël savaient maîtriser une arme.

HANNA : Mais nous n’avons jamais pensé aller en Israël.

PETER : Papa voulait. Il disait que toi tu ne voulais pas.

HANNA : C’est vrai, je ne voulais pas être domestique ou planter des oranges… Rien ne nous manquait. Un petit appartement, des vacances, tous les ans Karlsbad…nous avions tout… En plus, les persécutions contre les juifs étaient dirigées contre les Polonais. Ceux qui s'habillent en noir et dont les femmes utilisent des perruques.

PETER : Et alors ? Nous ne sommes pas Polonais ? Ma carte d'identité dit : Nationalité : Polonais…Religion : juive…Bubi est mon ami et sa mère utilise une perruque. Et le rabbin avec qui vous m'avez envoyé étudier s'habillait en noir…Il portait un pardessus noir même en été…

HANNA : De toute façon, il est déjà trop tard…(ÉVOQUANT) Lorsque nous nous sommes mariés, nous sommes partis en voyage de noces dans la Forêt-Noire. Quelle beauté ! Un avenir plein de fleurs et de rêves.

PETER : La nuit, dans le campement, papa a fait un feu et …

HANNA : Une autre fois, nous avons fait une promenade en bateau sur le Danube, jusqu'à Vienne, (ELLE CHANTONNE) « Donau so Blau, so Blau… »

PETER : Et papa m'a taillé, à la lumière du feu, un beau cheval en bois… Où as-tu rangé le cheval en bois que papa m'a fait ? …. Il l'a fait pour moi… Il est à moi… Je ne veux pas que le fils d'un SA l'ait.… !

HANNA : Nous lui demanderons de t’en faire un autre…La guerre ne va pas durer toujours…je crois. (ELLE OUVRE UNE VALISE ; ELLE SORT DIFFÉRENTS VÊTEMENTS) Ce chemisier, c’est ma cousine Helen qui me l’a offert quand ils sont partis à New York….

PETER : (AVEC L'ALBUM DE TIMBRES) J'ai quatre timbres d'Amérique du Nord.

HANNA : Cette jupe, c’est ma sœur qui me l’a laissée avant de partir pour le Paraguay.

PETER : Je les ai aussi. Regarde : Paraguay, 1939 Coupe du Monde de Football.

HANNA : Ça, c’est la jupe que m'a laissée Irma. Elle lui était trop petite. À moi, elle me va bien. Maintenant, elle est en Australie…

PETER : Regarde maman, ce sont les timbres du kangourou… Ils viennent d'Australie, n'est-ce pas ?

(BRUIT DE FREINAGE DE TRAIN. DES VOIX ET DES ORDRES)

HANNA : Gürs était un campement, construit pour vingt mille réfugiés espagnols. Maintenant, s'ajoutent des milliers et des milliers de juifs d'Allemagne, de Pologne et d'autres pays de l'est.
Les autorités françaises ont séparé les juifs étrangers des juifs français, pour libérer immédiatement ces derniers… 22 juin 1940: « l’Armistice » Serait-ce la paix ? Pour nous ou pour eux ? « Gürs, une étrange syllabe, comme un sanglot qui ne réussit pas à se libérer dans la gorge ».

PETER : Quelques jours après notre arrivée à Gürs, une heureuse furonculose infectieuse a entraîné mon internement dans un hôpital de Montpellier. De là, grâce à l'une des dernières monnaies de l'ourlet, ma mère a réussi à nous faire échapper de la police française et à arriver à Nice. Nice était sous l'occupation italienne.

Scène 10

HANNA : Regarde, Peter, nous sommes à Nice. Le soleil, toute cette lumière et toutes les fleurs du monde ! Loin de la Gestapo. Nice est occupée par l'Italie. Pas d’étoile jaune, seulement les étoiles du ciel bleu ! Ce qu’ils sont attentifs, les officiers italiens !... Nous sommes dans l’un des hôtels les plus chic et les plus élégants de la côte d'Azur et nous avons réussi à obtenir une chambre…

PETER : (IL TOUCHE SON OURLET) Il ne reste plus de monnaie pour payer.

HANNA : Je leur ai dit que mon mari est un entrepreneur anglais et qu'il payera dès son arrivée. Et ils m'ont crue ! Dieu merci, j'ai étudié le français.

PETER : C’est ainsi que se déroulèrent les derniers mois de l'année 1940. Nous avons reçu quelques brèves nouvelles de mon père, prisonnier du régime de Vichy et obligé à travailler dans une ferme de la région. Dans l'élégant hôtel, il n'y avait plus de nourriture, mais il nous envoyait de temps en temps un paquet avec un peu de fromage et de charcuterie qu'il arrivait à voler grâce à la complicité d’un ouvrier.

HANNA : Nous pouvons échanger une partie de ce qu’il nous a envoyé contre des chaussures neuves.

PETER : Dans cet énorme hôtel, dépérissant, avec des tapis déchirés et en ruines, j'ai senti la même angoisse qu’à Szbonszin. Il y avait des immigrants juifs de différentes parties du monde. Tous s'efforçaient de maquiller l'état calamiteux dans lequel ils se trouvaient. Au milieu d'eux, ma mère avait l’air d’une reine. Assise sur les ruines du café de l'hôtel, buvant une pauvre imitation de café et écoutant Lucienne Boyer (MUSIQUE « PARLEZ-MOI D´AMOUR ». ELLE CHANTONNE) Je me rappelle une nuit où elle est descendue au café et m'a laissé seul dans la chambre. Alors, j'ai entendu de grands bruits dans la chambre voisine. C'était des halètements et des exclamations qui allaient en augmentant. J'ai pensé que c'était ma mère. Je me suis levé et suis sorti de ma chambre et… j’ai fait irruption dans la chambre voisine… J'ai ouvert la porte d’un coup, les surprenant… Ce n'était pas ma mère ! C'était un couple de Hongrois faisant l'amour. Je me suis senti soulagé et... honteux ! Le lendemain, au petit déjeuner, ils étaient assis à une table proche de la nôtre. Ils ont évité de me regarder. Je me suis senti mal et suis sorti pour vomir… L'atmosphère de l'hôtel m'épouvantait !... Je m'échappais dès que je pouvais…

HANNA : … Est-ce que je peux savoir où tu étais ? Tout l'hôtel te cherchait ! Tu sais que nous ne pouvons pas aller à la police. Nous ne sommes pas enregistrés… Tu te moques de mon angoisse. Et alors ? Où étais-tu toute l'après-midi ?

PETER : Je suis allé au cinéma…

HANNA : Au cinéma ?…Qui t'a emmené ? Avec quel argent ?...Ton père t’a souvent dit de ne jamais aller au cinéma avec des inconnus…

PETER : J’y suis allé tout seul. C’est moi qui ai payé, avec mon argent… J'ai travaillé...

HANNA : Tu as travaillé ? Dans quoi ? Avec qui ? Tu vas me rendre folle !

PETER : L’homme du manège nous a donné du travail. Le gouvernement lui a pris son cheval. Nous étions trois garçons pour le faire tourner, il nous a payé le cinéma...

HANNA : (SURPRISE, ADMIRANT SON FILS) : Quel film tu as vu ?

PETER : Un film d’horreur : « La fille de Dracula »…

HANNA : Mon Dieu, tu ne vas pas réussir à dormir ! Ton père adore ces films…Mais le film est terminé depuis longtemps… Qu'est-ce que vous avez fait après ? Qu'est-ce que c'est que ces prospectus ? D'où tu sors ça ? (ELLE LES LUI ARRACHE ET LIT) « JEUNE FRANÇAIS JOINS-TOI À LA JEUNESSE NAZIE. N'ATTENDS PAS QU’IL SOIT TROP TARD : ADHÈRE DÈS MAINTENANT ! » Comment tu as pu entrer dans ce comité ? Tu as donné un nom ? Ils t'ont demandé avec qui tu habites ? Ils ont noté ton adresse ?

PETER : J'ai dit que j'étais le fils du propriétaire du manège.

HANNA : Jure-moi que tu n'as rien dit d’autre… Jure-le sur la vie de ton père.

PETER : Je te le jure ! …Mais ne laisse pas toutes ces vieilles momies de l'hôtel me faire la bise et me caresser avec leurs maquillages répugnants. Elles me terrorisent beaucoup plus que la « Fille de Dracula ». Dans n'importe quel autre endroit, je me sens plus en sécurité qu'ici…

HANNA : (ELLE SORT UN PAPIER DE SA POCHE, LE DÉPLIE) D’accord… Tiens, Peter, je veux que tu m'écoutes… Ton père nous a envoyé cette lettre. (ELLE LIT) « Mes chers : chaque jour, vous me manquez encore plus et je supporte de moins en moins la distance qui nous sépare. Je n’arrive à vivre qu’en me rappelant les heureux moments du passé, nos promenades dans la Forêt-Noire… Le voyage sur le Danube… La couleur du Danube ces jours-là… Mon très cher Peter, je sais que tu es un bon fils. Sois toujours obéissant. Tu es déjà presque un homme aux côtés de ta mère. Tu as maintenant le devoir de la défendre… Je me rappelle ces feux que nous faisions au campement… Je t'ai taillé un cheval avec son poulain, l'un à côté de l'autre. Comme j'aimerais que nous soyons ensemble ! Je verrai comment te le faire parvenir. Lorsque la guerre sera terminée, nous commencerons une nouvelle vie. Il y aura une nouvelle vie, je le sais. Nous sommes trop jeunes pour perdre tout espoir. Je donnerai n’importe quoi pour vous revoir, même un seul jour, un seul instant… Et je sais que ce jour arrivera bientôt… Je vous aime profondément. Isaac ».

ÉMUS, TOUS DEUX GARDENT LE SILENCE. SOUDAIN PETER, REGARDANT PAR LA FENÊTRE)

PETER: Maman, regarde...

HANNA : Quoi ?

PETER : Là-bas, au fond du jardin ! Un homme qui court…

HANNA : Un homme ?...

PETER : C'est papa.

HANNA : Isaac… ?

PETER : Il court vers nous… (IL CRIE) PAPA !...PAPAAA !…Il ne nous entend pas… Il ne regarde pas par ici… Il s'éloigne. Deux hommes courent derrière lui. Ce sont des policiers. PAPA !

HANNA : (À CÔTÉ DE PETER, ELLE LUI MET LA MAIN SUR LA BOUCHE) Ne crie pas, s'il te plaît. Ne crie pas… Chut.

PETER : Mais maman, ils l'emportent ! Il ne nous a pas vus !

HANNA : Si, mon chéri, il nous a vus, mais il ne nous a pas regardés… Il ne nous a pas regardés …pour nous protéger !. …Il nous a vus un seul instant, mais qui a duré…une éternité. Nous devons partir maintenant !

PETER : Il portait un paquet. Il est tombé. Ça doit être le poulain, je vais le chercher !...

HANNA : Non !... Laisse-le !...

(HANNA LE SERRE DANS SES BRAS ET L’EMPÊCHE DE BOUGER. ELLE EST ANGOISSÉE) :

PETER : …Le poulain !

HANNA : Allez, mets tes affaires dans ce sac… Aide-moi avec les valises…Non, la plus grande, Non ! Nous allons devoir la laisser.

(PENDANT QUE PETER ARRACHE LES AUTOCOLLANTS DE LA VALISE DE MADAME SILBERSTERIN)

HANNA : C'était le mois d'août 1942, le soleil resplendissait parmi les fleurs, la lavande et le thym.

PETER : C’est en août 1942 qu'ils ont attrapé mon père …
C’est en août 1942 que j'ai dû me séparer de ma mère.

HANNA : C’est en août 1942 qu'ils ont arrêté mon mari et l'ont transféré à Drancy… C’est de là qu’il a envoyé sa dernière carte postale...

PETER : Mais si nous nous en allons, lorsqu'il sera libre, où est-ce qu'il nous cherchera ?

HANNA : …Là, à l'endroit où nous nous dirigeons maintenant, à l'évêché de Nice.

PETER : Qu'est-ce qu'ils vont me faire ? Je n'irai pas !

HANNA : Ils aident beaucoup de juifs. Ils leur trouvent des refuges. Des nouveaux papiers. Nous allons changer de nom. Ce seront des faux noms qui vont nous protéger…

PETER : Des faux noms ? Qu'est-ce que tu dis, maman ? Comment je vais m'appeller ? Moi, je suis Peter, et s’ils me confondent ? …Et si un ami me reconnaît dans la rue et m'appelle Peter ? Qu'est-ce que je lui réponds ?

HANNA : Tu seras loin d'ici. Tu auras de nouveaux amis. Certains auront aussi de nouveaux noms…

PETER : Je ne comprends pas !...Je ne veux pas aller là où tu dis ! Je veux rester avec toi ! ...Ne me laisse pas, maman… Non !

HANNA : Tu vas aller dans une belle école… Avec beaucoup d'enfants. C'est l'école Don Bosco… Là, tu pourras étudier et apprendre un métier…

PETER : Don Bosco ?...Ils sont italiens ?...Je ne connais pas l'italien !...Je ne veux pas apprendre l'italien !... Et où est-ce que nous habiterons ?...

HANNA : …Je ne sais pas…

PETER : Je t'ai demandé, où allons-nous habiter ?

HANNA : Don Bosco est un internat…Tu y vivras…

PETER : Internat ?... Sans toi ? Non, maman ! Je ne vais pas y aller tout seul… Tu ne peux pas m'abandonner…

HANNA : (ELLE LE SERRE DANS SES BRAS SANS POUVOIR RETENIR SES LARMES) Non, mon chéri, je ne t'abandonne pas…Ils disent que c'est mieux que nous ne soyons pas ensemble. Comme ça, ils auront plus de mal à savoir que nous sommes juifs et à nous arrêter…Nous allons avoir des papiers différents. Dorénavant, je serai ta tante. Tu m'appelleras Denise… Je serai ta tante Denise. Tu auras une pièce d’identité au nom de Lucien…Je ne t'abandonnerai jamais. Je t'écrirai tous les jours…

PETER : Papa m'a demandé d'être l'homme de la famille. Je ne peux pas te laisser ! Je dois veuiller sur toi ! Maman ! Tu m’écoutes ?

HANNA : Tu devras apprendre le Notre Père.

PETER : Quoi ? Ce que l'on dit dans les églises ?...

HANNA : Oui, dans les églises ! S'il te plaît, Peter, fais ce que je te demande…Ne complique pas les choses…C'est pour ton bien. Écoute-moi bien. Si dans la rue on te demande comment tu t'appelles, tu leur dis Lucien Fargia. Si on te demande où tu habites, tu réponds Don Bosco. Où tu es né ? Au Maroc…Et si on te demande quelle est ta religion, tu réponds que tu es catholique.

PETER : Lucien, Maroc, le Notre Père, catholique…Je ne comprends rien, maman, rien ! Ne me laisse pas, j'ai peur qu'ils me voient tout nu et se rendent compte que je suis juif !...Ne me laisse pas, maman !

HANNA : C'est pour ça que ta carte d’identité dit que tu es français et que tu es né au Maroc. Au Maroc, ils circoncisent tous les garçons ; musulmans, catholiques et juifs…Maintenant, répète avec moi le Notre Père. C'est au cas où ils te demanderaient de prier, « Notre Père qui êtes aux cieux... » Allez, Peter, allez….

PETER : Non !

HANNA : Répète avec moi : Notre Père...

PETER : “Schma Israel Adonai eloheinu.

HANNA : Tu veux nous condamner ? Répète ! « Notre Père…

PETER : (À VOIX TRÈS BASSE) Schma Israel …

HANNA : Ne me fais pas ça, on nous attend à l'Évêché… S'il te plaît, Peter… S'il te plaît !

PETER : Je ne vais pas réciter le Notre Père…Les grands-parents et papa ne permettraient jamais ça…Je suis juif !

HANNA : Ils remercieront Dieu que quelqu'un veuille nous sauver…Notre Père…

PETER : Non !

HANNA : …(ELLE A UNE FEUILLE DANS LA MAIN. ELLE LIT) qui êtes aux cieux.

PETER :…Notre Père…(PRESQUE EN CHUCHOTANT) …Boruj ata Adenoi…

PEU À PEU, AVEC RAGE, PETER RÉPÈTE EN MÉLANGEANT LA PRIÈRE JUIVE AVEC LE NOTRE PÈRE. TOUS DEUX PRIENT ENSEMBLE, ÉMUS.

Scène 11

HANNA ET PETER OCCUPENT DES ENDROITS DISTANTS. ILS ONT UN PAQUET DE LETTRES ENTRE LEURS MAINS.

HANNA (ELLE LIT) : « Don Bosco, le 22 août 1942
« Ma chère tante Denise,
Tu me manques beaucoup et j'espère te voir bientôt. Je travaille dans l'imprimerie. C'est très amusant. J'ai déjà appris à former toute une ligne. Ça s'appelle la typographie. Je joue aussi au volley. Je t'embrasse de tout mon cœur. Ton neveu. Lucien.
P.S. : J'ai oublié de te raconter que j'ai chanté dans la chorale ».

PETER (IL LIT) : 25 septembre 1942.
« Mon très cher Lucien,
J'espère que tu vas bien. On dit que la guerre ne durera plus très longtemps. Au moins, c'est le désir de tous. Tu dois manger de tout, même si parfois tu n’aimes pas. Et n'oublie pas de bien te couvrir, car il fait froid. Ça me plaît que tu chantes dans la chorale, ce doit être très beau de faire cela. Ne crois pas que j'ai oublié ton anniversaire. Nous allons le fêter chez des amis. Je t’ai trouvé un costume neuf, bon, presque neuf. Ton premier costume avec un pantalon long ! J'ai parlé avec le père supérieur et il m'a donné la permission pour que tu sortes. Seulement une demi-journée, pas plus, m’a-t-il dit. Demain, des amis, Marcel et Odette, iront te chercher avec leur voiture. Je t’embrasse en te serrant contre mon cœur, comme si tu étais le fils que je n'ai jamais eu. Ta tante Denise. »

CHANGEMENT DE LUMIÈRE.
(PETER ET HANNA SONT DANS LES BRAS L’UN DE L’AUTRE. ILS NE PEUVENT RETENIR LEURS LARMES)

PETER : Tiens, maman !...Le Père Lambert m'a donné cette lettre pour toi.

HANNA (ELLE OUVRE LA LETTRE ET LA LIT) : « Chère madame,
« Il ne fait aucun doute qu'aujourd'hui est un jour très spécial pour Peter. J'admire le courage avec lequel il reste fidèle à son credo et je joindrai mes prières aux siennes puisque nous avons le même Dieu. …Je ne peux que vous féliciter d’avoir un fils si intelligent et tenace. Recevez, madame, mes plus sincères voeux de bonheur et de paix. Avec tous mes respects. »
PÈRE FÉLIX LAMBERT - École Don Bosco de Nice.»

HANNA : Aujourd’hui est le jour le plus important de ta vie. Tu as désormais des droits et des devoirs de personne adulte. C’est ton Bar Mitsvah. J’ai apporté ce talith. (ELLE LE LUI MET) Il appartenait au père de ton père.

PETER : Mais, pourquoi dans une cave ?

HANNA : À Don Bosco, tu n’as donc pas appris comment les catholiques, lorsqu’ils étaient persécutés, célébraient leurs cérémonies religieuses en cachette, dans des catacombes ? Aujourd’hui, dix hommes sont venus, se cachant, fiers de prendre un risque même dans une grotte, pour célébrer cet évènement avec nous. Ils font cela grâce à leur foi inébranlable. Le grand Rabin sera également présent. Maintenant, mets ton talith… et que Dieu nous entende… et nous protège...

PETER : (IL MET SON TALITH ET COMMENCE À LIRE UNE PARTIE DE LA TORAH)
“Schéma Israel Adoinai Elohenu Adonai Ejod………….

FOND DE MUSIQUE LITURGIQUE. À LA FIN DE LA LECTURE, ON ENTEND PLUSIEURS VOIX DISANT À VOIX BASSE : AMEN ET LEJAIM

HANNA : Les lettres allaient et venaient, mais à la fin de l'année 1942, les troupes allemandes occupèrent le Sud de la France, repoussant les Italiens, la terreur de la Gestapo commençait également…

PETER : C’était le 11 ou 12 novembre 1942. Je m’en souviendrai toujours. Au milieu de cette nuit-là, le père Lambert me réveilla brusquement : « Réveille-toi, Lucien. Ne fais pas de bruit pour ne pas réveiller tes camarades. Ta maman t'attend dans le réfectoire… Va, mon enfant, va avec Dieu et ma bénédiction ». Il mit une médaille de Don Bosco dans mes mains et me dit… « Pour qu'il te protège ».

Escena 12

PETER : Maman ! Qu'est-ce qu’il est arrivé ?... Pourquoi en pleine nuit ?

HANNA : Ils sont en train d'arrêter tous les juifs… Ils ont commencé avec ceux qui ne sont pas français. J'ai dû abandonner le lieu où j’habitais. Ils ont déjà convoqué et interrogé les propriétaires. J'ai rêvé qu'ils venaient à Don Bosco… Je suis donc allée à l'évêché parler avec eux. Ils m'ont dit qu'il n'y a aucun danger, que je devais me calmer, que Don Bosco est un endroit sûr, un endroit sacré que les Allemands n'oseront jamais envahir. Je leur ai répondu que la vie humaine est aussi sacrée…et cependant…Je les ai tellement suppliés que finalement, ils m'ont écoutée. Ils vont t'emmener dans un endroit près de Lyon…Un endroit plus sûr.

PETER : Mais maman, nous sommes de plus en plus séparés, de plus en plus loin. Ici, je me suis fait des amis, d'autres garçons comme moi. Partir encore une fois ?... Et toi, où seras-tu ?

HANNA : Ils m'ont offert un travail dans l'évêché. Je serai protégée. Tu me manqueras, mais je suis sûre que dans ce nouvel endroit tu seras mieux. C'est une sorte de ferme… Ils l'appellent « Foyer de Réinsertion Sociale ». Tu auras d'autres amis… Là-bas, il n'y a pas de juifs, les Allemands n'ont donc personne à aller chercher.

PETER : Si tu m'envoies là-bas, je te détesterai pour toujours !

HANNA : Nous sommes deux, parce que moi aussi je me déteste… Fils de mon âme, sois fort ! Le désir de ton père est que tu sois fort comme lui. Tant de prières doivent servir à quelque chose. Cette fois, tu voyageras en train avec Marcel, ton guide. N'oublie pas. Tu t'appelles Lucien Fargia. Tu es français, tu es né au Maroc et tu es CATHOLIQUE. S'il te plaît, répète-le…

PETER : (IL RÉPÈTE À VOIX BASSE PENDANT QUE LES LUMIÈRES CHANGENT) Lucien, Fargia, je suis né au Maroc…je suis français…je suis catholique… Baruj ata Adonoy, eloihenu melej…

HANNA : Quelques jours plus tard, la Gestapo est entrée à Don Bosco. Il y avait environ cinquante garçons juifs cachés dans la crypte. Dix-sept étaient des fils d'immigrants. Les Allemands, avec l'aide de la «courageuse» police française, les ont tous emmenés. Quelques curés qui se sont opposés ont également été arrêtés. Il n'est resté d'eux qu'un souvenir. Les arbres plantés sur le chemin des justes, à Yad Vaschem, en Israël. Les autres, qui étaient français, ont été cachés par le Réseau Clandestin Marcel. Le réseau a sauvé 527 garçons juifs.

PETER : (BRUIT DE TRAIN, RIRES DE SOLDATS ALLEMANDS, APPLAUDISSEMENTS) Je n'ai jamais pu oublier le voyage en train jusqu'au « Foyer de Réinsertion Sociale ». Pas tant pour les dix heures passées assis sur ma petite valise dans le couloir, serré au milieu de nombreux passagers, mais pour quelque chose qui s'est passé, là. Il y avait beaucoup de soldats allemands qui buvaient, chantaient et riaient. L'un d'eux a insisté pour que je partage son sandwich. Je l'ai refusé mais mon regard a croisé celui de Marcel, mon guide, qui m'a fait un geste pour que j'accepte. J'avais peur qu’à tout moment, je me trompe et parle allemand. Ce qui est arrivé après m'a rempli de honte et de culpabilité. À l’autre bout du wagon, une femme adulte était assise sur un bagage. Elle me regardait avec insistance. J'ai vu que quelques Allemands se moquaient d'elle. Ils l'appelaient Sarah. Un des officiers m'a caressé la tête en disant : Quel succès avec les femmes… J'avais l'impression qu'elle priait. Les rires des Allemands augmentaient, se moquant… Je me suis levé brusquement. J'ai marché vers elle. Je lui ai apporté ce qu’il restait du sandwich. Les rires augmentaient. C'était confus, était-ce sérieux ou une plaisanterie ? Lorsque je fus très près de la femme, presque à sa portée de main, j'ai brusquement englouti ce qu’il restait. Il y eut un silence puis les applaudissements ont éclaté… Forts, douloureux, acérés. Le regard de cette femme m'a harcelé pendant des années…

HANNA : (ELLE OUVRE UNE LETTRE ET LA LIT)
Décembre 1942, Saint-Chamond
“Ma chère tante,
Le voyage fut très beau. Nous sommes arrivés au foyer de nuit. Ils m’ont donné un uniforme. Tu te rappelles ? Comme celui des boy-scouts. Je partage ma chambre avec un garçon de Paris. Il s'appelle Guy. Il m'a dit qu’il va être boxeur. Il est très grand, il mesure dix centimètres de plus que moi. Il a un frère qui est dans une autre chambre… Des bisous de ton neveu. Lucien.
P.S. : J'ai oublié ! La nourriture est très bonne ”.

PETER : Nous étions environ douze enfants dans chaque dortoir. Nous dormions dans des lits superposés. Je dormais en haut. Les mauvais traitements avec les nouveaux étaient sans pitié. À peine arrivé, ils ont secoué mon lit pendant que je dormais, pour me faire tomber par terre. Si je pleurais, les plus grands faisaient une ronde et me frappaient avec une serviette mouillée. Il m'était interdit de pleurer. Sous le nom de "Foyer de Réinsertion Sociale" se cachait en réalité un centre d'éducation surveillée oublié de la main de Dieu… Parfois, je pensais que c'était une punition pour ce qui m'était arrivé avec Sarah, la femme du train.

PETER : (IL LIT UNE LETTRE) “Nice, février 1943
“Mon cher Lucien,:
Je suis très contente que tu ailles bien et que la nourriture soit si bonne. Envoie-moi une photo de toi en uniforme de boy-scout. Je vois que tu as déjà un ami, Guy. Tu vas bientôt connaître d'autres garçons, j'en suis sûre. Je t'ai envoyé un pull-over, parce qu’il doit faire très froid. Moi, je vais bien. Le père Lambert t'envoie ses salutations. Il dit que tu leur manques. Un gros bisou. Ta tante Denise”

PETER : La violence augmentait constamment. Les nouveaux entraient déjà armés. Ils portaient des couteaux et des bâtons. Un jour, Guy, avec qui je suis devenu très ami, a reçu un coup de couteau dans une jambe. Dans un autre lit du haut, à côté de moi, il y avait un nouveau garçon : Yves. Parfois, j’étais réveillé par le bruit que faisait son poignard lorsqu'il l'aiguisait contre les barreaux de son pieu. Il me lançait des regards menaçants tout le temps. Plus tard, j'ai su qu'il avait tué son père.

HANNA : (LIT UNE LETTRE DE PETER) Sain Chamond, août 1943
Ma chère tante,
J’ai maintenant un travail. Deux fois par semaine, je vais dans une imprimerie du village pour faire des affiches. En plus, j’ai été nommé chef de l'équipe d’épluchage des pommes de terre. Hier, le maréchal Pétain nous a rendu visite. Nous avons chanté le nouvel hymne : “Maréchal, nous voilà, devant toi, le sauveur de la France” . Le Maréchal nous a remerciés et s'en est allé. La nuit, nous avons vu passer deux mille avions. Je le sais parce que nous les avons comptés, Chaque nuit, il y en a encore plus. Ils disent que ce sont des Américains et qu’ils vont bombarder l´Allemagne. Bisous. Ton neveu qui t'aime. Lucien”

PETER : Tous les jours, à cinq heures, il fallait se réveiller avec le coup de clairon. Se laver, s'habiller et faire la queue dans la cour. Celui qui n'arrivait pas à temps, parce qu'il ne trouvait pas ses vêtements ou parce qu’on les lui avait cachés, devait se présenter même nu. En punition, il était privé de petit déjeuner. Ainsi, même en plein hiver, nous devions nous tenir droits, les morves gelées, pour hisser le drapeau.

HANNA : Tout comme Peter, je me sens sûre seulement dans la rue, au milieu de la multitude. Il y a quelques jours, je suis entrée dans un élégant bar pour prendre un café. Le garçon m'a demandé ma carte de ravitaillement. En me tournant, j'ai vu qu'il y avait des officiers allemands à plusieurs tables. «Comme je suis bête, je l’ai oublié chez moi»… j’ai pu balbutier. Ainsi, j'ai traversé le salon, le cœur battant, et j'ai pu sortir. Lorsque je suis arrivée au refuge, j'ai vu qu’une voiture était garée à la porte avec deux hommes dedans ! J'ai continué mon chemin. Une heure plus tard, je suis revenue. Ils étaient encore là. Alors j’ai marché, sans but, toute la nuit…

PETER : (IL LIT UNE LETTRE)
“Nice, novembre 1943
“Mon très cher Lucien,
Je suis très contente de savoir que tu as du travail. Lentement, les choses s’améliorent. Hier, pour la première fois, je suis allée dans un bar très élégant pour prendre un café. Une voisine m'a prêté un chapeau très chic. Gris avec une bande verte. Le café était si mauvais que j'ai appelé le garçon pour qu'il m’en apporte un autre. Il y avait plein de monde, et j’ai été applaudie. “Nous ne devons pas permettre le mauvais traitement !” ont-ils crié. Hier, un monsieur m'a apporté un paquet. C’était un joli cheval avec un poulain taillé en bois. Il m'a dit qu'une personne qui courait par le parc de l'hôtel l'avait perdu. Je lui ai dit qu’il n’était pas à nous, mais il a insisté et s'en est allé… Ta tante qui t'aime plus que jamais”

PETER : Hier, le 10 décembre, j'ai eu treize ans. Je me suis réveillé allongé par terre alors que certains se démenaient pour me déshabiller. Je criais désespérément. Guy faisait semblant de participer et m'a dit à l'oreille : “Ne proteste pas. Laisse-les”. Il avait raison : Arrêtez ! Ne déchirez pas mes vêtements. Je me déshabille tout seul". Guy en a profité pour appeler le directeur. J’ai été puni : une semaine dans le cachot pour exhibitionnisme.

HANNA : (ELLE LIT)
Saint-Chamond, le 15 décembre 1943
Ma chère tante Denise,
Je te remercie beaucoup pour le pull-over. Je l'ai porté le jour de mon anniversaire. Ils me l'ont fêté ici aussi. La cuisinière m'a fait un gâteau avec un L très grand. Ils m'ont offert des bottes neuves. Je ne pourrai pas t'écrire pendant un certain temps car nous partons en campement dans le Massif Central. C'est en pleine montagne. Nous partons avec des tentes et une cuisine ambulante. Je crois que ça va être une belle promenade très amusante. Beaucoup de bisous. Tu me manques. Lucien.”

Escena 14

LA SCÈNE SUIVANTE EST COMPOSÉE DE DEUX MONOLOGUES INTERCALÉS QUI PEUVENT TERMINER FUSIONNÉS. ILS SONT ÉLOIGNÉS SUR LA SCÈNE ET NE SE VOIENT PAS.

HANNA : (ELLE LIT LA FIN DE LA LETTRE ANTÉRIEURE):” Je ne pourrai pas t'écrire pendant un certain temps… nous partons en campement dans le Massif Central...,” …

Un mois sans nouvelles de Peter. …Un mois, c’est long…Je t’en prie Dieu, aie pitié de moi. Tu m'as déjà arraché un époux…

PETER : Tu me manques plus que jamais. Je ne peux te parler ni t'écrire, mais je te sens à mes côtés. Tu me donnes de la force et du courage, même si j'ai très peur …

HANNA : (ELLE SORT UNE CARTE POSTALE TOUTE FROISSÉE DE SON SAC): “Drancy, le 11 novembre ; …(ELLE EMBRASSE LA LETTRE, VEUT LA LIRE MAIS L'ÉMOTION LA PARALYSE) Tu as emporté mon mari, mes parents, ma sœur…s'il te plaît, pas mon fils, non ! Pas lui, je t’en prie ! ...

PETER : (BRUITS DE MITRAILLEUSES ET D’EXPLOSIONS) Non ! Je n'ai pas peur. Depuis hier, la resistance est ici, entre nous, ils ont fait prisonnier quelques Allemands. C'était des garçons comme moi ! Ils ont mis l'un d'eux à éplucher des pommes de terre avec moi et m'ont donné un revolver pour le surveiller. J'ai vu qu’il était terrorisé. J’ai failli lui parler en allemand. Je voulais lui demander ce qu'il avait fait avec mon papa. Mais je me suis retenu… Je ne sais pas s'il a perçu quelque chose, mais soudain, il s'est mis à pleurer…

HANNA : Je suis allée à l'évêché. Ils ne savent rien. La seule chose qu’ils me conseillent, c’est de prier. Prier qui ?...Aucun Dieu ne m'écoute…

PETER : Je vais raconter à mon papa qu'au milieu de la fusillade, j’épluchais des pommes de terre et que nous pourrons aller en Israël…Je lui dirai que je te convaincrai…J'espère te voir bientôt. Je t'aime. Lucien.

HANNA : J'ai lu dans les journaux que le Massif Central est une zone de forts combats. Les Allemands ont éliminé beaucoup de guérilleros. Mais lui, c’est un garçon, pas un guérillero !...

PETER: Nous étions dans le campement. Là, dans le Massif Central. Soudain, le silence. Les bombardements se sont arrêtés, les avions aussi. Ils ont emmené les prisonniers… …Finalement, les cloches ont interrompu le silence. D'abord avec précaution, puis des centaines d'églises ont communiqué la bonne nouvelle. La guerre est terminée !...La Liberté !

SONS DE CLOCHES CARILLONNANT JOYEUSEMENT. LA PAIX.

PETER : Les célébrations étaient joyeuses. Tous dansaient et chantaient. Des cloches sonnaient. Carillonnant. Au milieu du tumulte, quelqu'un m'a demandé : Où tu vas, jeune homme ? À Nice, j'ai répondu ! Monte vite dans ce train. C'est gratuit ! ... Il va à Marseille ! Là, tu demanderas… J'ai voyagé dans le couloir, écrasé au milieu de soldats américains. L'un d'eux a mis son talith et a commencé à prier. Je l'ai regardé et je n'ai pas pu empêcher mes larmes de couler ! Il a compris et m'a serré dans ses bras, m'enveloppant dans son talith. Ensuite, il a partagé son sandwich et j'ai regardé vers l'autre extrémité… Sarah n'était pas là…

LENTEMENT, LA MARSEILLAISE SONNE. CHANGEMENT DE LUMIÈRES.

PETER ET HANNA SONT DANS DES POINTS OPPOSÉS DE LA SCÈNE. HANNA PORTE UN FOULARD SUR LA TÊTE. IL Y A PEU DE LUMIÈRE.

PETER : …Madame Hanna Mayer ?

HANNA : (PEUREUSE)… NON ! Ce n'est pas ici.

PETER : À l'évêché, ils m'ont donné cette adresse…Ils m'ont dit que Mme Mayer habite là.

HANNA : À l'évêché ?… Voilà mon neveu…Lucien.

PETER : Lucien ? …Non ! Je suis Peter…Je suis Peter, à nouveau… Peter !…

HANNA : Peter !... Je suis Denise !

PETER: Non maman, ton nom est Hanna…Hanna…

HANNA : …Maman ?...Peter…Peter ! Oui, je suis Hanna…Peter

PETER : Maman !...

ILS S’UNISSENT EN SE PRENANT DANS LES BRAS L’UN DE L’AUTRE, C’EST INTERMINABLE.

HANNA : Peter !...Comme tu as grandi ! … Tu es si grand ! …Et si maigre ! Tu es sûr que tu mangeais ?

PETER : Oui, oui, maman. (IL LUI RETIRE LE FOULARD. IL LUI CARESSE LE VISAGE) Tu n’as pas changé !

HANNA : (COQUETTE) : C’est vrai ?...(ELLE VA VERS SON SAC. ELLE EN SORT UNE ENVELOPPE. ELLE LA LUI DONNE)… J'ai quelque chose pour toi… C'est de papa...

PETER : (IL SE RUE SUR L'ENVELOPPE): Papa ?...

PETER : (IL PREND LA LETTRE, L'OUVRE ET LA LIT).

“DRANCY“ le 11 novembre 1942
“Il est inutile de m'écrire ou de m'envoyer des vêtements ou quoi que ce soit d'autre. Nous partons demain… Ne vous inquiétez pas, tout ira bien. Après la guerre, nous nous reverrons. Je vous embrasse… À toujours. Isaac.”

PETER : 1942 ?... Deux ans se sont déjà écoulés…

HANNA : Oui…tous les jours, je vais au ministère pour voir s’il y a des nouvelles. Tous les jours, des listes de survivants apparaissent… Ton papa a dit : … "Quand je rentrerai, nous commencerons une nouvelle vie. Parce qu'il y aura une nouvelle vie. Nous sommes trop jeunes pour perdre tout espoir”…

PETER : La guerre est terminée, maman ! Terminée…Elle est terminée. Dans quelques jours, papa sera de retour… Une nouvelle vie nous attend.

HANNA : Elle ne sera jamais comme celle d'avant. Peu importe ! Je leur rendrai la promenade sur le Rhin en échange de mes parents. La maudite Forêt-Noire en échange de mes sœurs et leur sinistre Danube Bleu contre des cousins, oncles et amis… Je leur rendrai tout… Nous danserons, papa et moi, des nuits entières dans un port quelconque, en attendant un bateau quelconque qui nous emmènera quelque part en Amérique, loin de tant de douleur… mais jamais, jamais nous ne leur pardonnerons ce qu'ils nous ont fait.

PETER ET HANNA SONT TOUJOURS DANS LES BRAS L’UN DE L’AUTRE, LES LUMIÈRES BAISSENT, SEUL UN CHEVAL EN BOIS TAILLÉ AVEC SON POULAIN EST ÉCLAIRÉ.
LOCUTEUR (OFF)

PARIS, le 18 octobre 1946
MINISTÈRE DES ANCIENS COMBATTANTS DE FRANCE :
Madame Hanna Mayer,
“J'ai le devoir de vous transmettre l'acte de disparition de votre époux, M. Isaac Mayer. M. Mayer a été déporté à Auschwitz le 11 novembre 1942, lieu du décès. Je me permets de vous exprimer mes plus sincères condoléances pour vous et votre famille”
Signé : ...Secrétaire des Actes
Gerardo Leval

LA LUMIERE DESCENT LENTEMENT.

FIN ( 22-5-12)

Versión espagnole