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Semaine « Enfants cachés et déportation »

Du 7 au 11 janvier 2008

Discours d'Andrée Poch-Karsenti

Odette Abadi : nous avons tellement l’habitude de dire, comme s’il s’agissait d’un seul nom  OdetteetMoussa, qu’aujourd’hui je marque un léger temps d’arrêt, presque interrogatif : Odette, « notre » Odette, seule ici ? Oui, et cela est bien car dans un premier temps, c’est le médecin que nous souhaitons honorer et dont je voudrais, bien que trop brièvement rappeler qui elle était.

Odette était la discrétion même, non de celle qui peut rendre un individu transparent, mais de cette réserve contenue des grands hommes. Il émanait d’elle une force impérieuse empreinte d’humanisme, force à laquelle il était difficile de résister mais qui lui permit d’affronter la dure épreuve de la déportation.

Pourquoi Odette a-t-elle choisit (de 1978 et au-delà de sa retraite) d’être médecin dans une Institution de jeunes sourds et mal entendants ? On peut supposer que sa volonté, son sens de l’altérité, son désir d’aider des enfants aient fait incliner son choix et aient contribué à son engagement auprès des élèves du Cours Morvan. Elle avait aussi cette capacité, gardée tout au long de sa vie, d’être en empathie avec la souffrance. Il n’en est que de regarder son parcours professionnel qui débute par sa thèse en médecine : « Notes sur les Jouets et la protection des enfants ». Après guerre, elle fut Inspecteur vacataire des écoles du 12e au service des enfants, puis chef de service au laboratoire d’hygiène de la ville de Paris, puis médecin inspecteur de l’action sanitaire et sociale de la préfecture de la Seine. Un fil conducteur se dessine : l’enfance et sa protection, l’action  en direction des plus défavorisés.

La situation de difficulté de ces jeunes handicapés, ces « Enfants du silence » ne pouvait que mobiliser le désir d’aide ancré chez Odette. Quel écho a sa propre histoire ? A-t-elle pensé qu’ils pouvaient représenter le monde, sourd au génocide perpétré, elle, qui fut muette sur son passé de Résistante et de Déportée ? Je suis fière, au nom des Enfants et Amis Abadi de voir Odette honorée comme médecin de cette Institution : son nom dans le marbre dira longtemps aux générations d’élèves l’histoire du dévouement. Merci à Aude De Saint Loup Directrice de cet établissement d’avoir voulu et permis cet hommage.
Néanmoins, quelques lignes sur un support aussi noble que celui-ci ne peuvent suffire à illustrer le sens d’une vie de révoltes contre l’injustice. Odette à vingt quatre ans en 1938 lorsqu’elle se joint à la Centrale Sanitaire Sociale sur la frontière du sud de la France pour soutenir les réfugiés Républicains espagnols.

Le courage, la solidarité, la tolérance ne sont affaire ni de sexe ni d’âge, mais de notre capacité à être Homme, à être vigilants.

Déchue de son droit  d’exercer la médecine en application des lois antijuives de Vichy en 1940, elle soigne les étrangers expulsés d’Allemagne, d’Autriche dans les quelques dispensaires acceptant de leur donner des soins. Mais contrainte bientôt d’abandonner cette activité trop dangereuse, elle retrouve Moussa Abadi à Nice, fin 1942. Nice est alors sous contrôle italien et toute la région bénéficie d’une occupation plutôt clémente envers les Juifs. La rencontre avec un prêtre italien décrivant les crimes nazis en Europe de l’Est est déterminante pour le couple : tous deux décident, ainsi que l’exprime Moussa,  ne pas « regarder passer la procession ». Pour cela ils créent un réseau de sauvetage d’enfants. Pour cette entreprise aussi lourde que dangereuse, ils sollicitent l’aide de Monseigneur Rémond, évêque de Nice, des Pasteurs Gagnier et Evrard, des institutions laïques, des maires, dans les Alpes Maritimes. Toutes ces mains tendues, leur permirent, au mépris de leur vie (n’oublions pas, que juifs tous deux, ils étaient aussi menacés) de soustraire 527 enfants à une mort certaine lorsque, à partir du 10 septembre 1943, Aloïs Brunner et ses nazis se livrèrent à une déferlante chasse aux juifs. Odette dénoncée fut déportée en avril 1945 vers Auschwitz et Bergen Belsen, où elle essaya comme médecin de l’infirmerie du camp, avec son courage, sa volonté de survivre, sa force et son humanisme d’apporter soins, soutien et  amitié à ses codétenues.
De cette expérience douloureuse dont elle ne se remit jamais tout à fait, elle écrivit ce magnifique témoignage « Terre de Détresse ».

Revenue de déportation en avril 1945 Odette continua avec Moussa, à Nice, de s’occuper des enfants cachés afin qu’ils puissent retrouver des membres de leur famille. Ensuite, avec le sentiment d’un juste et normal devoir accompli, elle repris sa vie avec Moussa dans le silence des actions menées, des dangers et des peurs encourus.Enfants qui êtes là, qui avez  participé avec tant d’intérêt aux manifestations autour de la déportation, qui sans doute parfois souffrez d’un regard, d’une réflexion, qui vous sentez parfois différents, en passant devant cette plaque, ne lisez pas simplement son nom . Qu’il vous fasse penser que le courage, la solidarité, la tolérance ne sont affaire ni de sexe ni d’âge, mais de notre capacité à être Homme, à être vigilants.

Merci à vous.

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