Facebook Instagram Twitter Youtube

< Retour à : Témoignages

Pierre LOEB : Mémoires de guerre

Je suis né le 29 juin 1940 au Camp de Gurs. De quelle façon j’en suis sorti ? Ma mère ne s'est jamais étendue sur ce sujet et curieusement cela ne me préoccupait pas vraiment ... d’autant plus qu’un article paru dans Nice-Matin sur l’enfance Juive et intitulé "Pierrot la chance" que m’avait montré ma mère quand j’avais environ six ans m’avais laissé croire jusqu’à il n’y a pas si longtemps à une sortie du camp plutôt glorieuse dans un sac de pommes de terre. Je dois dire à ma décharge que l’article en question était confus dans sa présentation et que la sortie du camp dans un sac de pommes de terre ce n’était pas moi mais un garçon de deux ans.

Ce n’est que récemment, profitant des loisirs que donne la retraite et de mon activité de bénévole à l’OSE que j’eus l’envie de mettre un peu d’ordre dans les papiers que m’avait laissés ma mère et dans les correspondances qu’elle avait entretenues avec ma fille  Ariane et mon fils Jerôme. Dans un document signé du chef d’escadron DAVERGNE, commandant le camp de Gurs, il était écrit que ma mère était autorisée à sortir du camp de GURS le 17 juillet soit dix neuf jours après ma naissance accompagnée de son enfant et de regagner son lieu de résidence qui était soit NICE ou MANDELIEU. On ne peut que faire des suppositions sur ce geste de mansuétude, un geste d’humanité ou un manque de consignes des autorités  pour ce genre de cas (naissance) ou de garants exterieurs (mes grands-parents).

Mon premier souvenir visuel se situe au moment où les allemands ont pénétré en  zone libre. Nous habitions ma mère et mes grands parents maternels rue Capati à NICE. Je vois au travers du soupirail d’un entresol les bottes des Allemands qui défilaient dans la rue. De ma naissance jusqu’à ce moment : aucun autre souvenir ; uniquement ce que ma mère a écrit à Ariane ma fille cinquante ans plus tard. Ma mère vivait à Nice avec mes grands-parents et ma demi-sœur Annie qui était sortie du Camp de Gurs par je ne sais quel moyen. Elle faillit être prise dans une rafle avec moi dans la rue ou la Gestapo embarquait femmes et enfants. Comment elle me confia au réseau Marcel je ne le saurai jamais, mais j’ai toujours su qu’un Monsieur Abadi s’était occupé de moi. Je reliais ce Monsieur  à l’OSE qui se trouvait avenue de la Victoire près du journal Nice-Matin et des gouters rue Dubouchage.

Une image a toujours été présente  dans ma mémoire : celle de centaines de petits bonhommes tombés du ciel éclairés par pleins de lumières avec en arrière fond une montagne : nous étions sur une terrasse - je dis nous parce que dans ma mémoire j’étais entouré d’adultes et d’enfants. A cette image, j’ai toujours associé un nom de lieu : OPIO. J’en déduis que se devait être la nuit qui précéda le débarquement des alliés à FREJUS  et de là, on peut déduire la date. Une autre image a toujours était présente : j’étais dans une chambre éclairée par une ampoule debout prés de mon lit, contemplant catastrophé le drap mouillé de mon lit. A ce désagréable souvenir, non seulement à cause du lit mouillé mais aussi l’impression que je n’étais pas heureux, j’associe le nom de Clos de Conte.

Comment ces souvenirs se rattachent au réseau Marcel et aux Abadi, ma mère n’étant plus de ce monde c’est le hasard qui s’en est chargé : dans le cadre de mon travail à l’OSE je visitais  au mémorial de la shoah  une  exposition quand Colette, ma femme, attira mon attention sur une vitrine consacrée au réseau ABADI. Dans cette vitrine se trouvait entre autre un cahier ou étaient minutieusement portées les dépenses que payaient le réseau, aux familles qui prenaient en charge des enfants cachés. Ayant obtenu l’autorisation de consulter ce cahier, j’y découvris avec émotion je dois l’avouer le nom et l’adresse de la famille ou j’avais été caché pendant quelques temps. J’étais donc bien un "enfant abadi" et cela me permettait de résoudre une énigme : dans les documents que je possédais, figurait une longue lettre qui donnait des nouvelles de ma santé, qui disait que je m’amusais bien avec une certaine Colette et qui parlait de MADEMOISELLE. La lettre était signée mais personne dans l’association n’avait pu l’identifier. Curieusement la date avait été arrachée et aucun lieu ne figurait. Grâce au cahier, j’ai pu enfin identifier cette personne : il sagissait de Madame RIGODIN demeurant  au 11 av de CHIRIS, à  GRASSE dans  les Alpes Maritimes.

En juillet 2006, profitant d’un séjour dans le Var, j’ai décidé d’en avoir le cœur net car, malgré mes recherches au téléphone et sur le Net, je n’avais pu avoir la moindre information qui m’aurait donné l’occasion de retrouver cette dame ou ses descendants. Je me trouvais devant la façade d’un immeuble dans une rue en pente qui n’éveillait aucun souvenir en moi. De l’autre coté de l’immeuble, pas de jardin correspondant aux deux  photos que j’avais encore quoique soixante six après le jardin pouvait bien avoir était remplacé par une rue. Dans l’immeuble personne ne se souvenait  de la famille RIGODIN. Seul un vieux Monsieur absent aurait peut- être pu  me renseigner ? Restait OPIO, pas très loin de Grasse, Colette, ma femme, me poussa pour que nous allions voir. Quand nous arrivâmes devant la mairie d’Opio,  il était midi moins cinq. Deux messieurs d’un certain âge descendaient du perron. Je tentais ma chance.Effectivement l’un se souvenait qu’il y avait beaucoup d’enfants Juif cachés pendant la Guerre et que son Père avait un poste clandestin caché dans le grenier pour écouter radio Londres. Quand je lui parlais de religieux, il m’indiqua qu’il devait s’agir des moines de l’ILE DE LERINS qui se trouve en face de Cannes. Mais la propriété avait été vendue il y a quelques années. Mais divine surprise je retrouvais le paysage tel qu’il était dans ma mémoire avec en arrière fond la petite montagne d’où je voyais descendre les parachutistes. Ainsi se trouvait pratiquement levées les interrogations sur cette période de ma vie qui se trouvé liée aux Abadi.

Si  je n’ai aucun souvenir de mon père, il est trop tard pour interroger ma mère qui m’a seulement dit qu’il était docteur, sans doute en droit et qu’il était de la famille des LOEB aux US, famille de banquier richissime, mais qui n’avaient jamais donné de nouvelles malgré une lettre envoyée pour obtenir la possibilité d’entrée aux USA. Peut être que cette lettre ne leur est jamais parvenue ?

Il a été déporté en 1942 par le convoi n°28 de Drancy à Auschwitz.

< Retour à : Témoignages